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Youcef
Zirem

Mai 2001


artenaires liés par une longue histoire commune et une proximité géographique, l’Algérie et la France ont, de tout temps, eu des relations marquées, au même moment, par l’amour et la haine. Souvent, les discours officiels tenus sur les deux rives de la Méditerranée ne reflètent pas les aspirations réelles des Algériens et des Français. En Algérie, les discours « ultra nationalistes » et souvent anti-français sont produits, dans la majorité des cas, par ceux qui dans leur vie privée sont francophiles et ne rêvent que se s’installer dans l’Hexagone. En France, les propos insistant sur des relations « normales » avec l’Algérie sont élaborés, dans bien des situations, par ceux qui croient que l’ancienne colonie est encore une «chasse gardée» de la France.
Lorsque en janvier 1992, le président Chadli Bendjedid démissionne, la France officielle exprime ses regrets. C’est le début d’une brouille entre Alger et Paris. Cette mésentente dure quelques mois avant que les choses ne rentrent dans l’ordre. Entre temps, la France a accueilli sur son sol de nombreux militants de la mouvance islamiste et autres réfugiés, et l’Algérie est entrée dans un cycle infernal de violences multiples. L’Algérie est alors isolée sur le plan international et les polémiques sur la nécessité ou pas de l’arrêt du processus électoral de décembre 1991 continuent.
Intronisé à la tête du HCE, Mohamed Boudiaf dont certains conseillers, anciens militants du PRS, viennent de Paris, ne se rapproche pas vraiment de Paris. C’est à partir de 1994 que la France, vue la rude concurrence américaine dans le secteur des hydrocarbures algériens, décide de prêter main forte au pouvoir « illégitime » d’Alger. C’est à partir de cette date que les fournitures de matériel militaire français à l’Algérie reprennent. L’arrivée à la tête de la République de Liamine Zeroual et de son conseiller Mohamed Betchine ralentissent pratiquement toutes les tentatives de rapprochement entre Paris et Alger. Liamine Zeroual est l’homme des Américains.
Durant la période zeroualienne, les nombreux voyages du ministre des Affaires étrangères françaises à Alger ne sont pas suivies par des visites réciproques. Plusieurs invitations françaises allant dans ce sens sont restées lettre morte. C’est à cette époque aussi que le fameux rapport « B-2 Namous » est rendu public en France. Ce rapport confidentiel dévoile des accords secrets signés entre la France et l’Algérie du temps de Houari Boumédiène. L’arrivée de Abdelaziz Bouteflika à la tête de l’état inaugure, à coup sûr, une nouvelle ère dans les relations algéro-françaises. Pour Jean Pierre Chevènement, la relation entre les deux pays « est sans pareille » avant d’ajouter qu’elle est « irremplaçable pour la France comme pour l’Algérie ». Ce sont peut-être les mots les plus justes qui puissent exister pour définir les rapports entre les deux pays. Mais, il y a certainement encore beaucoup de choses concrètes à réaliser pour que ces relations soient excellentes pour le bien des deux peuples. Depuis l’installation de Abdelaziz Bouteflika à la tête de l’État, la langue française est de nouveau ouvertement utilisée dans les institutions étatiques. L’ancien ministre des Affaires étrangères de Boumediène a même cassé un tabou en osant faire quelques discours dans la langue de Victor Hugo. Par la suite, le reste de la société a suivi et des officiels de l’État se permettent à leur tour de dire, à la télévision étatique des mots en langue française.
Le rapprochement franco-algérien sera, d’une certaine façon, accentué par la visite de Abdelaziz Bouteflika en juin à Paris. Auparavant, les 120 membres de la délégation du MEDEF (Mouvement des entreprises de France) qui ont visité l’Algérie en février 2000 se sont fait remarquer par la cordialité de leurs propos et l’absence totale de promesses d’investissement.

Depuis l’arrêt du processus électoral de décembre 1991, les USA n’ont pas arrêté d’avoir un regard critique vis à vis de la démarche des autorités algériennes. Ce n’est que le 10 septembre 1997 que l’ambassadeur des États Unis d’Amérique en Algérie, Ronald E. Neumann rend publique une déclaration assez « différente » après sa rencontre avec le président Liamine Zeroual. Condamnant les massacres horribles, les attentats à la bombe et les attaques contre les civils algériens, la déclaration américaine stipule que le gouvernement des USA appuie « les mesures militaires, compatibles avec un état de droit, pour la protection des civils ». Le texte de l’ambassadeur américain fait part du soutien des USA à « la politique énoncée par le président Zeroual sur les réformes économiques et politiques, la liberté de la presse et l’état de droit ». Les américains séparent ainsi les paroles du président Liamine Zeroual de la réalité qu’ils savent plus nuancée. Ensuite la déclaration de l’ambassadeur américain énonce les positions classiques des USA en rapport avec l’Algérie à savoir : la nécessité de la réconciliation nationale et « l’inclusion dans le processus politique de tous ceux qui rejettent la violence ». Avec des mots à peine voilés, le texte de l’ambassadeur s’attaque aussi à la fraude électorale que le régime algérien a presque institutionnalisé. « (...) Nous espérons que le gouvernement algérien abordera les problèmes soulevés par les observateurs algériens et internationaux lors des élections de juin, au moment où l’Algérie prépare les élections locales du 23 octobre », affirme la déclaration américaine.

« Le FIS est le bâtard monstrueux de la dictature algérienne et de la République française », c’est ce qu’écrit Jean-François Revel dans un article que publie Le Point au mois d’août 1994 (dans le numéro 1143). Pour lui, la politique algérienne de la France l’a mise dans une situation sans issue. Jean-François Revel réfute les différentes argumentations des officiels français. Il n’est pas d’accord quand des responsables français soutiennent qu'il faut soutenir le pouvoir en place à Alger même s’il est imparfait. « Ce pouvoir là est inviable », souligne Jean-François Revel. « La France l’a secouru contre toute morale et toute raison pendant des décennies, précipitant sa faillite. Proposer de continuer fait bizarre. Le minimum qu’on puisse exiger du cynisme, c’est qu’il soit efficace », ajoute l’ancien directeur de L’Express. L’auteur de La Grande Parade fait remarquer que « les structures politiques et économiques actuelles de l’Algérie rendent impossibles la bonne utilisation de l’aide, qui ne sert qu’à perpétuer ces structures vicieuses ». Jean-François Revel rappelle que « depuis l’accord sur le gaz de 1982 (renouvelé en 1989), par lequel la France s’engageait à payer le gaz algérien 20 % plus cher que le prix du marché, jusqu’aux multiples prêts à fonds perdus et incessants « refinancements » de la dette, le niveau de vie n’a fait que baisser et la crise politique que s’intensifier ». L’erreur impardonnable de la France est, de l’avis de Jean-François Revel, d’octroyer un crédit supplémentaire à l’Algérie après que le pouvoir eut tiré à la mitrailleuse lourde sur des adolescents dans les rues d’Alger en octobre 1988. « Dès lors le ressentiment de la population nous était acquis. Qu’elle soit égarée par l’islamisme n’excuse en rien notre faute, au contraire. C’est de ce danger que nous devions tenir compte, afin d’empêcher que la solution de rechange au FLN ne devienne pas aussi antidémocratique que le FLN même », tranche-t-il. Pour Jean-François Revel, la suppression du deuxième tour des élections de décembre 1991 est un coup d’état que la France a soutenu. « Cette accumulation d’abus et de bévues réunissait les conditions typiques d’où sort habituellement le terrorisme. Et un terrorisme qui ne pouvait que viser aussi la France ». Jean-François Revel pense que la France est donc complice des « fauteurs algériens de la catastrophe ». Pour conclure, il estime que pour la France, il n’y a « presque plus de bonne politique possible. Ou, s’il y en a une, elle ne peut naître que d’une répudiation sans pitié de celle qui a échoué ». La répudiation dont parle Jean-François Revel n’a pas encore eu lieu et la France s’est considérablement rapproché du régime algérien depuis l’arrivée à la tête de l’État de Abdelaziz Bouteflika. La France continue ainsi une politique qui ne rapporte des dividendes que pour les lobbies politico-financiers en France et en Algérie.
La « refondation » des rapports entre l’Algérie et la France, capable d’aboutir à des rapports sereins et bénéfiques aux deux peuples, peut attendre.

Secrétaire d’État adjoint des États Unis, ambassadeur en Algérie (de 1994 à 1997), Ronald Neumann estime qu’il n’y a pas de remède miracle. Pour lui, la violence en Algérie est la conséquence de facteurs politiques, économiques et de sécurité d’une grande complexité. « Chacun de ces facteurs devra être pris en considération pour que la paix revienne dans le pays. S’il est vrai que les éléments du problème sont complexes, les grandes lignes des actions à entreprendre ne le sont pas. La solution à long terme doit allier les réformes politiques et économiques. En conséquence, notre politique en Algérie s’inscrit comme il convient dans la durée et encourage la croissance des institutions démocratiques et la libéralisation de l’économie », affirme Ronald Neumann dans un point de vue que publie le quotidien El Watan (du 14 février 1998). Mais cautionnant les principales options du général Liamine Zeroual, réputé distant du concurrent français, les Américains fermeront les yeux sur de nombreux dérapages commis par les autorités algériennes et n’allant pas dans le sens de la démocratisation réelle du pays. Il est vrai qu’entre deux déclarations officielles un peu critiques envers le régime d’Alger, la présence américaine dans le secteur pétrolier algérien a encore pris de l’ampleur. Ronald Neumann reconnaît que son pays a appuyé le rééchelonnement de la dette algérienne. Parlant du bilan économique de l’Algérie, il fait remarquer que « face à une énorme dette extérieure, le gouvernement a mis en œuvre un programme financé par le Fond monétaire international, mesure que nous avons fortement appuyée. Nous avons également appuyé ensuite un généreux rééchelonnement de la dette publique, y compris la dette envers les États-Unis, ainsi qu’un solide programme de la Banque mondiale ». Pour le secrétaire d’État américain, c’est au gouvernement et au peuple algériens de relever le défi et d’atteindre leurs propres objectifs. «L’Algérie est un pays riche de promesses en proie à une longue crise », constate Ronald Neumann. Dans leur discours officiel, les Américains disent leur désir d’orienter l’Algérie dans le sens d’une plus grande ouverture politique, du respect des droits de l’Homme, de la marginalisation des extrémistes, de l’élimination du terrorisme et de la violence politique et des réformes de marché.

En situation de quasi-cessation de paiement en 1994, l’Algérie s’en sort grâce à un contrat de stand-by d’un an avec le FMI suivi en 1995 d’un contrat de facilité de paiement de trois ans. Le pays signe également en 1994 et en 1995 deux accords de rééchelonnement avec le Club de Paris et deux autres avec le Club de Londres, ce qui lui vaut un différé de remboursement de plus de 16 milliards de dollars. On va même jusqu’à affirmer que la sollicitude intéressée du FMI et de son ancien directeur général, le Français né en Algérie, Michel Camdessus, aurait rapporté à l’Algérie un total de 30 milliards de dollars. C’est ainsi la puissante influence française qui sauve l’Algérie de la faillite financière. La France est le premier fournisseur de l’Algérie et représente entre 22 et 25 % de ses importations. On comprend donc son intérêt à sauver le régime d’Alger lorsque celui-ci, acculé également par une contestation armée, était sur le point de tomber en 1993-94. Mais qui, en France, bénéficie réellement des faveurs du marché algérien ? Pour Baudois Loos, de l’Institut européen de l’Université de Genève, « l’histoire des rapports franco-algériens, c’est d’abord une histoire de réseaux. De complicité de réseaux, de complémentarité de réseaux. Tous réseaux qui bénéficient du fait que la France est l’un des rares pays européens à autoriser le versement de commissions par ses entreprises dans les transactions commerciales internationales. » Dans son essai La seconde guerre d’Algérie1, Lucile Provost abonde dans le même sens. « C’est en premier lieu par rapport à la France, aux firmes françaises, aux intermédiaires qui travaillent avec elles, que le pouvoir algérien organise la mise sous contrôle de l’économie. C’est le plus naturel.
Les entreprises françaises sont sur place, les hommes se connaissent. Ce sont donc de véritables réseaux d’influence politico-économiques qui se sont mis en place avec l’ancienne métropole et existent encore aujourd'hui. Les Français ont d’ailleurs bénéficié, comme les Algériens, des retombées de cette économie de dépendance. Les contrats sur l’Algérie étaient réputés particulièrement rentables, la surfacturation étant couramment de l’ordre de 30 à 40 % (&Mac183;). Les liens entre affaires et politique ne se sont jamais démentis, que ce soit à droite ou à gauche », écrit-elle.

Excellent arabisant, l’ancien attaché de presse de l’ambassade de France à Alger, Jean-François Guillaume reconnaît que les services de renseignement américains en Algérie sont plus performants que ceux de son pays. Pourtant vu les liens historiques entre l’Algérie et la France, il est plus logique de s’attendre au contraire. Depuis l’apparition du phénomène islamiste, les Américains ont misé sur un rapprochement conséquent avec les animateurs de cette tendance lourde de la société algérienne. Les Américains ont fait l’effort d’approcher tous ceux qui pouvaient communiquer réellement avec les islamistes et leur entourage. Ainsi, la plupart des journalistes algériens qu’ils ont invité à visiter les USA se recrutent dans ses sphères. En réalité, dans leur sourd duel avec les Français, les Américains ont, contrairement à ce qu’ils peuvent raconter, misé sur une arrivée au pouvoir du FIS. Cette éventualité aurait, d’une façon ou d’une autre, minimisé, au moins pour un temps, l’influence française en Algérie. Largement noyautés par les services algériens, les différents groupes armés ont également été infiltrés par les services étrangers. Dans ce contexte l’affaire de l’assassinat des moines de Tibhirine et l’affaire du détournement de l’Airbus d’Air France (le 24 décembre 1994) continuent encore aujourd’hui à garder leurs zones d’ombre. Une note de la DGSE2, publiée par le quotidien Le Monde indique que l’imminence du détournement de l’avion était connue. On parle de quelques éléments « beurs » qui ont réussi à intégrer un groupe armé islamiste du côté des Eucalyptus (banlieue algéroise) comme source d’information de la DGSE. Durant le rapt de l’avion, un inspecteur de police algérien, un diplomate vietnamien et Brugno Meugnier, cuisinier à l’ambassade de France à Alger, ont été tués. Un officier supérieur de l’armée algérienne et Ferhat Mehenni, chanteur kabyle célèbre et, à l’époque, responsable du RCD3, sont sortis indemnes de la prise d’otages. On ne sait pas ce que sont devenus les corps des auteurs de ce détournement d’avion. Un parent de l’un des terroristes de l’Airbus travaillait comme jardinier à l’ambassade de France à Alger. La chaîne de télévision TF1 avait programmé et annoncé une émission sur ce thème dans le « le droit de savoir » mais elle n’a jamais été diffusée. Au mois de janvier 2000, Mme Françoie Rudetzki, présidente de l’association SOS Attentats fait de troublantes révélations. Dans un bref entretien au quotidien la Nouvelle République4, elle affirme que des passagers qui voyagent souvent sur la ligne Alger-Paris-Alger révèlent que lors du vol du 24 décembre 1994, il n’y a pas eu de carte d’embarquement, de reconnaissance de bagages. Selon toujours ces voyageurs, le contrôle policier ne s’est pas effectué comme auparavant. Mme Rudetzki fait également savoir que Mme Meugnier, l’épouse du cuisinier de l’ambassadeur, accompagnée de ses deux enfants, avait rencontré le 22 décembre 1994, un agent d’escale d’Air France qui s’était étonné de ne pas voir son époux voyager avec elle. Quand elle l’a informé que son mari devait la rejoindre le 24 décembre, cet agent d’Air France avait estimé qu’il n’était pas question que son époux prenne l’avion ce jour là. Mme Meugnier ne manque pas de préciser que cet agent lui a signifié que son mari devait partir le 23 décembre quitte à le placer dans le cockpit. Arrivée à Paris, Mme Meugnier a téléphoné à son mari qui n’a pas voulu modifier son programme surtout qu’il devait prendre le vol avec l’ambassadeur et sa secrétaire. L’ambassadeur qui avait fait deux réservations, l’une pour le 23, l’autre pour le 24, a finalement voyagé le 23 décembre 1994. Dans le registre de ces affaires scabreuses, figurent également les accusations, faites en novembre 1999, du gouvernement de Belgrade en direction de la DST française. En annonçant l’arrestation de cinq tueurs serbes qui s’apprêtaient à assassiner le président Milosevic, le gouvernement de Belgrade indiquait que des membres de ce commando avaient participé à un massacre en Algérie en 1994. Coran Matic, ministre yougoslave de l’Information accuse les cinq hommes d’avoir formé un commando répondant au nom de code de « Pauk5 ». Pour Coran Matic, le chef du commando, Jugoslav Petrusic jouit de la double nationalité franco-yougoslave et travaille pour les services français depuis dix ans sous les pseudonymes de « Dominique » ou de « Baladin », sous l’autorité d’un agent nommé Patrick Fort. Il l’accuse d’avoir participé, pour la France, à des opérations de renseignement en Bosnie, à des assassinats en Yougoslavie, à un massacre en Algérie, en 1994, et à l’expédition zaïroise de mercenaires recrutés par le maréchal Mobutu Sese Seko. Coran Matic accuse également Jugoslav Petrusic et ses amis d’avoir participé en juillet 1995 aux tueries de Srebrenica. « Si la France a démenti « certaines » accusations, comme le note fort justement la presse de Belgrade, c’est à dire le projet d’assassinat de Slobodan Milosevic, aucun commentaire n’a en revanche été fait sur les liens pouvant unir Jugoslav Petrusic, Milorad Pelemis et d’autres à certains services secrets français», note le quotidien le Monde (du 30 novembre 1999). De leur côté, les autorités algériennes sont restées bien silencieuses sur toute cette affaire.

C’est un nom de code qui pique : B2-Namous (namous veut dire moustique en arabe). L’affaire concerne les militaires français, sous l’uniforme puis sous couverture civile, qui sont restés après 1962 pour effectuer des essais nucléaires sur une base secrète en Algérie. « Les essais, révèle Le Nouvel Observateur, du 23 octobre 1997, ont continué jusqu’en 1978 avec l’autorisation des plus hauts responsables algériens ». L’Algérie, par l’intermédiaire de son ministre des affaires étrangères de l’époque, le militant du parti présidentiel, le RND, Ahmed Attaf, dément que les essais aient eu lieu après 1967 comme convenu par les accords d’Evian mais le ministère français des Affaires étrangères confirme les révélations fracassantes de l’hebdomadaire de Jean Daniel. « B2-Namous, c’était vraiment très secret », avoue Pierre Messmer, ancien ministre de la défense qui se souvient que « curieusement, les discussions sur B2-Namous avec les Algériens se sont chaque fois bien passées ». Mais comment expliquer un tel comportement du président Houari Boumediène, lui qui n’arrêtait pas dans ses discours de critiquer la France ? « C’était une affaire personnelle entre deux militaires chefs d’État : de Gaulle et Boumediène. Et le président algérien ne voulait pas dire non au Général. C’est aussi simple que ça », raconte l’ambassadeur Philipe Rebeyrol qui a négocié l’accord B2-Namous avec un proche de Boumediène, le commandant Chabou. « Comme beaucoup d’officiers algériens, Chabou avait été militaire dans l’armée française. Ce lien affectif a joué aussi », précise le diplomate français. À l’instar du commandant Chabou, beaucoup d’officiers supérieurs de l’armée algérienne proviennent de l’armée française, c’est le cas, pour exemple, des généraux majors Mohamed Lamari, Mohamed Touati, Larbi Belkheir, ou encore Khaled Nezar. C’est le 27 mai 1967 qu’un accord cadre sur B2-Namous est signé, en catimini, par le nouvel ambassadeur français à Alger, Pierre de Leusse et le commandant Chabou, au nom du président Boumediène. Les militaires français doivent alors travailler sous couverture civile. Une filiale de Thomson sera leur employeur officiel mais l’autorité militaire aura le contrôle des opérations.
Le 4 décembre 1967, un autre accord secret sur B2-Namous est encore signé entre Paris et Alger. C’est désormais l’armée algérienne qui assure la garde extérieure de la base et la Soteg sera considérée « comme travaillant pour l’autorité militaire algérienne ». Le 12 mai 1972, sont « d’accord pour renouveler au plus vite l’accord de 1967 ». Ce qui se fera rapidement. Selon le ministère de la Défense français, « l’installation de B2-Namous est détruite et est rendue à son état naturel » en 1978.

Après avoir rencontré, à la fin de l’année 1999, le président Abdelaziz Bouteflika, le président de l’Eximbank, James Harmon, affirme que « pour les dix prochaines années, l’Algérie est mieux placée que d’autres pays pour attirer des investissements étrangers et les États-Unis peuvent faire beaucoup plus que d’autres dans ce domaine ». Pourtant de tels propos ne seront pas suivis d’actes concrets et les investissements en question resteront virtuels. Malgré le caractère dépassionné des relations algéro-américaines (contrairement aux rapports avec la France), les USA ne donnent guère l’impression de vouloir engager des investissements en Algérie en dehors du secteur des hydrocarbures. Après la signature en mars 1996 d’un accord de rééchelonnement de la dette algérienne d’un peu plus de 1 milliard de dollars avec Washington, les compagnies pétrolières américaines prennent d’assaut le Sud algérien.
D’importants investissements sont enregistrés, en particulier pour Arco (1,5 milliard de dollars en 1996), Anadarko Petroleum, Bechtel, Louisiana Land and Exploration ou encore Exxon. Cet effort américain explique le fait que les compagnies américaines sont responsables de plus de la moitié des découvertes pétrolifères réalisées sur le continent africain.
Autre secteur de coopération algéro-américain : le domaine militaire. En octobre 1998, des manœuvres militaires conjointes entre les USA et l’Algérie sont organisées en Méditerranée. En 1999, l’Algérie qui tente de moderniser son armée, a déboursé pas moins de 600 millions de dollars pour l’acquisition de matériel militaire américain, devenant ainsi le deuxième client des USA dans le monde arabe et le septième dans le tiers monde. Les USA ont lancé un programme de formation de sous officiers et d’officiers au profit de plusieurs pays dont l’Algérie. Après la visite du commandant de la sixième flotte américaine, Daniel Murphy, à Alger en septembre 1999, l’amiral Charles Stevenson Abbot, commandant en chef adjoint du commandement américain en Europe, s’est entretenu dans la capitale algérienne, le 24 avril 2000, avec Abdelaziz Bouteflika et le général de corps d’armée, Mohamed Lamari, chef d’état major de l’armée algérienne. Washington veut une alliance stratégique avec Alger puisque l’Algérie a adhéré au dialogue de l’OTAN.

L’assassinat, au printemps 1996, des sept religieux de Tibhirine a fait couler beaucoup d’encre. Cette affaire donne une idée sur la complexité de la situation en Algérie. Enlevés le 26 mars 1996, la vie des sept moines sera l’objet d’obscurs tractations avant que leur mort ne soit annoncée à la fin du mois de mai 1996. Le père Gérard, prieur de l’abbaye d’Aiguebelle, révèle qu’un émissaire du gouvernement français se serait rendu, à la mi-mai, auprès des otages, qu’il aurait rencontrés pendant dix minutes et à qui il aurait donné la communion. Pourtant pour le porte parole du Quai d’Orsay, Yves Doutriaux, « il n’y a pas eu de négociation, il n’y a pas eu de tractations ». Il semble que dès l’enlèvement des sept moines deux canaux de négociation se sont mis en place. L’un, officiel, avec les autorités algériennes est chapeauté du côté français par le général Philippe Rondot, spécialiste du monde arabe à la DST (et interlocuteur habituel du DRS) qui se rend début avril à Alger. Ancien patron de la DST, Yves Bonnet fait également une brève halte à Alger, le 6 mai.
L’autre canal a été activé plus tard. Les Français veulent alors avoir une preuve que les otages sont toujours vivants. Cette preuve, ils l’obtiennent le 30 avril, lorsqu’un messager dépose à l’ambassade de France à Alger une cassette audio contenant un enregistrement des voix des sept religieux. Pour dater le document les ravisseurs enregistrent les moines sur un fond sonore identifiable, le bulletin d’information émis le 20 avril par la radio franco-marocaine, Médi 1, basée à Tanger et beaucoup écoutée en Algérie. Le messager, avait travaillé, avec son père, comme jardinier à l’ambassade de France à Alger. Cet homme est également le frère d’Abdellah Yahia, un des membres du commando qui avait détourné l’Airbus d’Air France en décembre 1994. Selon Le Nouvel Observateur (du 30 mai 1996), c’est lui qui après l’assassinat de cheikh Saharaoui à Paris, le 19 août 1995 et l’attentat au métro Saint-Michel, apporte à l’ambassade de France à Alger le texte de « la Déclaration de guerre à la France » et qui commence par ces mots : « Jacques Chirac, soumets-toi ». Le messager en question est un intermédiaire habituel entre la DGSE et les islamistes. Il est aussi impossible qu’il ne soit pas connu du DRS. Il semble que les moines ont été finalement tués à suite de malentendus entre les services algériens et leurs homologues français. En se rendant au lieu de détention des moines, l’énigmatique « émissaire français » dont fait part le père Gérard, ne pouvait pas échapper à la surveillance du DRS. Ce dernier ne pouvait logiquement tolérer le succès du deuxième canal de négociation. Une enquête du quotidien Le Monde (du 8 juin 1998) abonde dans le même sens et « donne du crédit à la thèse de l’infiltration du groupe de ravisseurs par les services de sécurité algériens et d’un dérapage final causé par un désaccord entre ses derniers et leurs homologues français ». Cet « affrontement » des hommes de l’ombre de France et d’Algérie devient presque patent à l’occasion des attentats de l’été 1995 à Paris. Des membres du réseau de Chasse-sur-Rhône de groupes islamistes armés, responsables de cette campagne d’attentats accusent, au cours de leur procès, Alger de les avoir « téléguidés ». Dans son livre La Nouvelle guerre d’Algérie (éditions La Découverte, Paris 1999), Djallal Malti ne va pas par mille chemins pour signifier que la DST sait qu’Alger a commandité ces explosions afin de contraindre Paris à s’impliquer dans la lutte contre les islamistes. Présenté comme le cerveau de la campagne d’attentats de l’été 1995, Ali Touchent alias Tarek est soupçonné par Paris d’être un agent des services algériens. Décédé dans des circonstances obscures à Alger en 1997, la nouvelle de la mort de Ali Touchent n’est connue qu’une année plus tard. C’est certainement dans ce contexte que Lionel Jospin affirme, à propos du drame algérien, au quotidien Le Monde en juillet 1997 que « le gouvernement français est contraint dans son expression ». C’est également dans cette optique qu’on peut essayer de comprendre les propos d’un opposant algérien repris par Abed Charef (dans son livre Autopsie d’un massacre6, qui soulignait que « le GIA est une organisation dans laquelle l’islamisme constitue la base, mais dont les actions sont détenues par les services algériens, français et américains, marocains et probablement israéliens et d’autres pays.»

Au moment où l’Algérie vacille durant les années 1994-95, les découvertes pétrolières se font de plus en plus nombreuses dans le sud du pays. C’est ce qui renforce la crédibilité financière de l’Algérie, soutenue par le FMI et la Banque mondiale. En mai 1996, le directeur des affaires égyptiennes et nord africaines au Département d’État, Richard Jackson, affirme, au cours d’un colloque organisé à Washington que « l’Algérie est économiquement un important acteur ». Le responsable américain signale que l’Algérie « est un producteur significatif de pétrole et de gaz de haute qualité qui était en 1994 le pays qui eu les plus importantes découvertes de pétrole dans le monde ». Dans le système-monde que les USA projettent de mettre sur pied, Washington choisit dans le tiers monde des États pivots. Pour la Méditerranée arabe, à côté de l’Égypte, c’est l’Algérie qui est choisie.
Dans le prolongement de cette logique, Pierre Salinger, ancien conseiller de Kennedy, visite l’Algérie en juin 1998, pour le compte du département d’État et du Congrès. Cette démarche des américains est élaborée pour atténuer, un tant soit peu, la « mainmise » française sur l’Algérie. Après une rencontre entre Hubert Vedrine, ministre des Affaires étrangères françaises et son homologue américain, Madeleine Allbright, le porte parole du Département d’État a annoncé le 24 septembre 1997 que les deux ministres « sont d’accord sur le fait que l’Algérie est un sujet sur lequel la France et les États-Unis pourrait amorcer un dialogue de fond ». Cette formulation pleine de langue de bois de la part du porte parole du Département d’État exprime, à bien des égards, le rivalité franco-américaine vis à vis de l’Algérie. Le dialogue de fond dont on parle ici doit, bien sûr, rester secret.

Youcef Zirem


Youcef Zirem, né en 1964, est journaliste à Alger depuis une décennie.

Il est auteur de
"Les enfants du brouillard", poèmes, Paris 1995
et de "L'Ame de Sabrinna", nouvelles, Alger 2000

Un autre de ses articles est consultable sur :
http://www.algeria-watch.org/farticle/presse/zirem.htm

Notes

1. Éditions Flammarion, Paris 1996)
2. Direction Générale de la Sécurité Extérieure, services de renseignements français.
3. RCD : Rassemblement pour la Culture et la démocratie)
4. Du 18 janvier 2000.
5. Pauk : araignée.
6. Éditions de l’Aube 1998


De nombreuses informations sur l'Algérie sont disponible sur un site algérien hébergé en Allemagne :
http://www.algeria-watch.org/francais.htm