Il y a quelques mois, nous publions un article de Youcef Zirem, journaliste à Alger. Presque en même temps que la France, ce pays vivait aussi au rythme délections.
Si en France, le résultat, contesté dans la rue, encourageait les citoyens à un sursaut de participation ; en Algérie ce sont les conditions mêmes du scrutin qui conduisirent de nombreux partis, notamment kabyles à encourager labstention.
Il nest pas question ici de se livrer à une analyse pointue de ces situations contradictoires, de nombreux journaux le feront mieux que nous. En questionnant un journaliste, témoin privilégié de la société algérienne nous avons surtout cherché à en savoir plus sur le contexte social de lélection, de lautre côté de la Méditerranée. En effet, de ce pays, nous savons peu de choses dautant quil partage une grande partie de notre histoire et nous reste très proche.
LUn [EST] lAutre : Quelles ont été les grandes périodes politiques et économiques de lAlgérie depuis la guerre dindépendance ?
Youcef Zirem : Il est difficile de résumer en quelques lignes une période de 40 ans ; cet exercice se complique encore plus dans la mesure où la période de 1962 à 1974 me parait confuse, je suis né en 1964 et tous les témoignages sur cette époque ne sont pas forcément crédibles. Mais essayons de faire une petite synthèse.
Les Algériens ne sont pas encore indépendants et déjà cest la guerre entre eux : en juillet 1962, larmée des frontières soppose à celle de lintérieur, bilan : plus de 1500 morts dans des combats fratricides. Le vainqueur cest Houari Boumédiène, un colonel, chef de
létat-major qui ne veut pas entendre parler de la légitimité du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne). Boukharouba Mohamed (le véritable nom de Boumediène) installe Ben Bella au poste de président avant de le renverser en 1965. De cette année jusquà sa mort en 1978, le colonel Boumédiène impose une dictature féroce : tous les malheurs de lAlgérie viendront de cette période. Même lintégrisme islamique est généré par Houari Boumédiène qui a encouragé cette mouvance pour contrecarrer la gauche et surtout la contestation berbériste. De 1979 à 1992, le pays est dirigé par un autre colonel, Chadli Bendjdedid. Ce dernier fait respirer un peu la société ; il engage une vaste opération dimportation de biens de consommation, il supprime la fameuse autorisation de sortie de lépoque de Boumédiène (et oui, durant 13 ans, les Algériens étaient obligés à Boumédiène et à son équipe lautorisation de partir à létranger !). Chadli Bendjedid fait construire des logements et des
autorautes et permet la création dassociations. Après les tragiques événements dOctobre 1988 (larmée tire sur la population et tue plus de 1000 personnes !), Chadli engage des réformes et permet le pluralisme politique. Mais quand le FIS remporte les législatives du 26 décembre 1991, larmée saffole, arrête le processus électoral et fait démissionner Chadli Bendjedid. Le pays entre alors dans un cycle infernal de violences multiples qui continuent jusquà aujourdhui.
L&L : Le peuple est-il actif et engagé au sein des partis ou ceux-ci ne sont-ils que des leviers permettant daccéder à quelques avantages ? Quelle ralation les Algériens entretiennent-ils avec leur dirigeants ?
Y. Z. : Il y a un fossé entre le peuple et ses dirigeants, entre le peuple et les partis politiques, entre le peuple et la presse. Cest terrible et ce fossé augmente de jour en jour...
L&L : Quels sont les courants politiques en présence aujourdhui ?
Y. Z. : Il est difficile de dire quil y a des courants politiques en Algérie. Il y a aujourdhui un parti unique qui se présente sous plusieurs sigles : FLN, RND, MSP, MN, MRN, PT
Ces partis sont tous au pouvoir et profitent de la rente pétrolière. La seule opposition qui existe est celle du FFS et du RCD, deux partis kabyles et celle du FIS, un parti dissous par les autorités au mois de mars 1992.
L&L : Quels est le poids de chaque secteur dans léconomie aujourdhui ?
Y. Z. : Économiquement, cest la catastrophe. Le pétrole fait vivre le pays et les innombrables trafics font le reste. Depuis la signature des accords de rééchelonnement de la dette extérieure en 1994, près de 600 000 personnes ont perdu leur travail. Le passage de léconomie étatique à léconomie de bazar ne se fait pas sans dégâts. On parle déconomie de marché mais en réalité cest un mensonge. La violence elle-même est entretenue à dessein par les cercles mafieux du pouvoir pour ne pas aller vers de véritables réformes économiques. Ces cercles qui profitent du secteur de limport-import gagne des sommes colossales et sopposent à toute production de biens de consommation sur le territoire algérien.
Lagriculture peine à retrouver ses marques, il se pose un problème de terres appartenant à lÉtat quon ne veut pas privatiser mais qui ne sont guère rentables pour le moment. Le trabendo, léconomie parallèle est la seule économie vraie en Algérie et la corruption est devenue une institution à tous les niveaux.
L&L : Quel est létat des services publics, poste, distribution deau et délectricité
?
Y. Z. : La poste fonctionne correctement dans lensemble. La distribution de leau pose dénormes problèmes ; Alger la capitale et bien dautres villes ne sont approvisionnées en eau quun jour sur trois et ce, seulement pendant quelques heures durant la nuit. Sil y a bien un secteur où les autorités algériennes ont, depuis lindépendance, mis le paquet cest celui de lélectrification. Cette opération a permis larrivée de lélectricité dans les zones les plus reculées.
Mais les autres services publics laissent à désirer : les banques ont un retard inimaginable ; pour exemple, certaines dentres elles mettent 9 mois pour donner un chéquier à ceux qui viennent douvrir un compte chez elles. Les banques algériennes sont un frein à tout investisseur étranger désirant tenter le marché algérien. Les hôpitaux algériens sont des « mourroirs » à tel point que les dirigeants algériens ne se soignent quà létranger. Lécole et luniversité voient le niveau de lenseignement baisser de jour en jour.
L&L : Assiste-t-on à lémergence dun milieu associatif qui prendrait le relai de lÉtat défaillant, comme en France avec les Restos du cur. Ces organisations ont-elles un réel poids ?
Y. Z. : Le mouvement associatif algérien est un mythe ; si sur le papier il y a des dizaines de milliers dassociations, dans la réalité seule une centaine activent. Et encore : moins dune dizaine parmi celles qui activent sont réellement autonomes. Les autres se contentent de se placer pour le partage de la rente pétrolière grâce à leur proximité avec le pouvoir.
L&L : Quelle est la composition ethnique et sociale du peuple algérien ?
Y. Z. : Dans lensemble, le peuple algérien est constitué dArabes et de Berbères. Les connaisseurs disent que la grande majorité des Algériens est berbère ; même les arabophones daujourdhui. Les autres origines (turque par exemple) ont apparemment fini par se dissoudre dans le reste de la population.
L&L : Quelles sont les valeurs qui fonde la notion de « nation algérienne », sont-elle plus historiques ou sociales que linguistiques ou ethniques ?
Y. Z. : Je ne sais pas si la nation algérienne existe ; je ne sais pas si le terme « nation » veut dire quelque chose réellement. Je préfère le terme de « patrie » qui renvoie plus à un territoire géographique, à la terre, au lieu de naissance, aux espaces qui abritent lenfance de tout un chacun
LAlgérie est un pays qui est, tel quil est aujourdhui, né seulement il y a 40 ans ; la guerre de libération est la référence suprême des dirigeants du pays mais la jeunesse commence à se poser des questions sur ce passé récent ; un passé tellement ressassé, galvaudé, raconté avec démesure.
L&L : Il a été beaucoup question des revendications culturelles kabiles. Ces revendications ont-elles un pendant politique sous la forme de partis indépendantistes ou autonomistes ?
Y. Z. : Les revendications kabyles ne datent pas daujourdhui, elles ne sont pas seulement culturelles. Lidée de lindépendance de lAlgérie est une idée kabyle. Dans les années trente, le PPA, le parti nationaliste algérien possédait près de 14 000 militants dont 11 000 kabyles. En 1948, les militants kabyles voulaient imposer les références berbères dans la définition de lidentité algérienne mais cela avait créé un conflit parmi ceux qui se battaient pour lindépendance de lAlgérie. Les militants kabyles avaient alors décidé de laisser cette question pour après lindépendance. Mais à lindépendance, Ben Bella et Boumediène ne voulaient plus entendre parler de cette question. En 1980, la Kabylie se révolte pour les libertés, pour la démocratie, la langue berbère. Le régime répond par la répression. Depuis le mois davril 2001, la Kabylie est en rébellion contre le régime dAlger. Les Kabyles ont élaboré une plateforme de revendications de 15 points et attendent son acceptation par le pouvoir. Parmi ces revendications : le jugement des gendarmes et de leurs chefs qui ont assassiné 115 personnes en Kabylie, le suprématie du politique sur le militaire dans la gestion des affaires du pays, la reconnaissance du berbère comme langue nationale et officielle, linstauration dune allocation chômage pour tous les chômeurs du pays. Deux partis sont à majorité kabyle, le RCD et le FFS mais ils ne plaident pas pour un quelconque séparatisme. En revanche, le MAK (le Mouvement pour lautonomie de la Kabylie), né durant lété 2001, ne se gêne pas pour demander lautonomie de la Kabylie. Dans la réalité générée par les tragiques événements du Printemps noir, la Kabylie est déjà autonome et a dit non aux élections législatives du 30 mai 2002.
L&L : Quels sont les traits culturels qui différencient les Kabyles des Arabes ?
Y. Z. : Les Kabyles sont plus politisés que le reste de la population dAlgérie ; depuis toutes ces années, la revendication de la démocratisation du pays némane que de Kabylie. Rythmée par les valeurs musulmanes, la vie quotidienne des Kabyles et des autres Algériens se ressemble même si la langue parlée par les uns et les autres est différente.
L&L : LAlgérie vit-elle sous la menace dun séparatisme Kabile ou le sentiment national algérien est-il assez puissant ?
Y. Z. : Les plus grands nationalistes algériens (à lintérieur ou à lextérieur du pouvoir) sont Kabyles. Pour linstant les partisans du séparatisme kabyle ne sont pas nombreux mais les jeunes Kabyles ne veulent plus supporter ni les exactions du régime militaire ni les errements des islamistes. Sil ny a pas de changement de comportement au niveau des dirigeants algériens, lidée de séparation prendra inévitablement le dessus en Kabylie.
L&L : LAlgérie est à la confluence de plusieurs ensembles géographiques (Afrique et Méditerranée), culturels (monde arabo-musulman et latin-méditerranéen), de plus la colonisation et lémigration lui font poser un pied en Europe occidentale. Où situerais-tu toi-même ce pays ?
Y. Z. : LAlgérie a une position géostratégique qui lui permet dêtre à lécoute du Monde. Plusieurs influences se sont de tout temps exercées sur les Algériens et aujourdhui on sent quils sont un peu perdus
Orient, Occident, Islam, arabité se combattent quand ils ne se complémentent pas pour former une certaine option universaliste. La langue française aurait pu être un outil pour aller rapidement vers la modernité mais le régime de Boumediène, avec la complicité de la France officielle ont sabordé ce mouvement naturel des Algériens. Oui, la France en soutenant un régime pourri a toléré la régression de la langue française en Algérie ; la France officielle sest contenté dobéir aux lobbies financiers quil y a entre les Algériens et les Français. La France officielle continue dignorer les aspirations du peuple algérien au rapprochement avec le peuple français. En ce qui me concerne, je ne crois même pas aux pays ; je respecte surtout les hommes et les femmes, sous toutes les latitudes, qui se battent pour la dignité, les libertés et les droits de lhomme. Je salue toutes et tous ceux qui font bouger les choses pour la compréhension entre les peuples ; je suis de tout cur avec eux quils soient arabes, israéliens, français, berbères ou autres.
L&L : Le gouvernement algérien a choisi dhonnorer la mémoire de Saint Augustin, personnage incontournable de lhistoire culturelle et politique de lOccident chrétien, né sur le territoire actuel de lAlgérie, que pense-tu de cette comémoration ?
Y. Z. : Saint Augustin est lAlgérien le plus connu de par le monde ; même si elle est dabord politicienne la commémoration par les autorités algériennes de luvre de ce grand penseur me fait chaud au cur.
L&L : Y a-t-il dautres personnalités historiques qui sont partagée par les deux rives de la Méditerranée et qui peuvent les lier ?
Y. Z. : De nombreuses personnalités peuvent participer au dialogue entre lAlgérie et le reste du monde. Mon modèle est Albert Camus, le meilleur écrivain algérien. Ce prix Nobel de littérature est dabord Algérien ; peu dintellectuels ont, comme lui, eu une relation charnelle avec la terre qui la vu naître, ainsi quavec les habitants du pays. Albert Camus a écrit, en octobre 1938, dans Alger Républicain (un journal où jai commencé ma carrière de journaliste en septembre 1991) des reportages pour dénoncer la misère dans lAlgérie profonde, pour dire aux autorités françaises de lépoque leur injustice vis à vis des Kabyles et des Arabes. Par la suite, lauteur de lÉtranger avait tenté de sopposer à la violence entre les Français et les Algériens mais il avait compris que cétait impossible. Albert Camus avait alors choisi le silence jusquà ce quil meure dans un accident de voiture.
L&L : Quel sentiments les Algériens entretiennent-ils avec la France et les Français ?
Y. Z. : Aujourdhui, des millions dAlgériens rêvent de la France ; dune façon ou dune autre, ils persistent à croire que cest encore leur pays. Dommage que la junte militaire dAlger et la France officielle se liguent contre cet amour. Dommage que la France officielle fasse confiance à un régime assassin qui ne cesse de critiquer la France dans le discours mais qui fait ses affaires à Paris. Personnellement, je nai aucun complexe à aimer profondément la langue française, à suivre de près les mutations du pays de Patrick Modiano, à rêver un impossible rêve : que lAlgérie et la France fassent à nouveau le même pays !
L&L : Quel est le poids réel de la langue française ? Son utilisation correspond-elle avec un statut social particulier.
Y. Z. : La langue française en Algérie na aucun statut mais cest, de loin, la langue dominante. Les décideurs du pays, les économistes, les scientifiques utilisent la langue française. Une vingtaine de quotidiens paraissent dans la langue de Victor Hugo en Algérie, vingt ans après larabisation de lécole !
L&L : Les Algériens connaissent-ils bien la vie culturelle, sociale et politique françaises ?
Y. Z. : Beaucoup dAlgériens suivent de près la vie française ; depuis maintenant une décennie les Algériens captent les chaînes de télévision françaises. Les débats politiques français ne laissent pas indifférents les Algériens. En revanche, les manifestations culturelles françaises (cinéma, littérature, musique
) sont plutôt suives par une certaine élite.
L&L : Quel est létat de la production culturelle en Algérie ?
Y. Z. : La production culturelle en Algérie laisse à désirer ; pour exemple dans le secteur de lédition, il ne paraît pas plus de 200 livres par an ! (en France ce chiffre se situe entre 40 000 et 50 000 titres). Peu de films sont réalisés, peu de pièces de théâtre sont mises en chantier tandis que la création musicale stagne. Seule la culture officielle faite de festivals inutiles et coûteux a véritablement droit de cité. Le système algérien a, de tout temps, eu peur des créateurs libres et autonomes.
L&L : Quels sont les principaux médias, presse, radio, tv. Ont-ils une réelle indépendance à légard de lÉtat ?
Y. Z. : Tous les médias lourds (radios et TV) sont propriétés de lÉtat ; ils nont aucune liberté. La télévision algérienne est complètement ridicule dans la mesure où elle a oublié son service public et se contente de transmettre la propagande du chef de lÉtat et des généraux.
L&L : Quels sont les médias étrangers accessibles en Algérie ?
Y. Z. : Grâce au satelite, toutes les télévisions mondiales sont accessibles au public algérien. Les chaînes françaises et du Moyen Orient (telle la fameuse El Djazira) sont les plus regardées. Du côté de la presse écrite, les Algériens des villes peuvent depuis plus dune année lire le Monde, le Figaro et France Soir.
L&L : Quel regard portes-tu sur lactualité française des derniers mois ?
Y. Z. : Personnellement, je lis chaque jour le Monde, en plus de quelques autres revues françaises (LExpress ou Le Figaro Magazine). Je ne suis pas donc très loin de lactualité française. Je suis déçu que Lionel Jospin, un homme honnête et travailleur, ne devienne pas le président des Français, mais je suis content que son départ soit loccasion dun certain déclic. Un délic capable de faire bouger les choses dans le bon sens. En revanche, je suis étonné que les autorités françaises trouvent du mal à régler le problème corse. Quand jentends parler J.-P. Chevènement sur ce sujet, je ne comprends pas quon puisse encore tenir à un certain centralisme qui nest bénéfique pour personne. Sinon, ce que je suis le plus en France, ce sont les parutions de livres. À défaut davoir les livres, je lis les commentaires du Monde des livres et du Figaro des livres. Je me régale chaque jeudi en lisant la chronique de Patrick Besson du Figaro.
L&L : En lisant tes nouvelles, il ressort que la société algérienne est très oppressante, du point de vue politique mais aussi par rapport à la tradition. Comment la jeunesse contourne-t-elle cette oppression ?
Y. Z. : La société algérienne na pas encore permis lexpression de lindividualité ; elle est donc oppressive. Dans mon recueil de nouvelles, écrit dun seul jet, jai tenté de témoigner dune réalité denfer, à un moment où je pouvais être tué à nimporte quelle minute. Les personnages de toutes mes nouvelles sont dune façon ou dune autre perdus, marginalisés, sans aucun espoir mais ils tiennent encore, ils continuent à de battre, parfois contre eux mêmes
L&L : Un humoriste algérien, Fellag, est très connu en France. Existe-t-il un « humour algérien » ? Les Algérien utilisent-il lironie au quotidien ?
Y. Z. : Lhumour algérien est ce quil y a dexceptionnel dans ce pays de fous. LAlgérie est un pays de fous dans la mesure où rien ne marche normalement. Mais le terme le plus utilisé par les Algériens est celui-ci : normal. Le lieutnant Boumarafi qui a assassiné, le 29 juin 1992, le président Boudiaf a dit cette phrase : « Je lai tué, normal ! » Face au désespoir, lironie est dun grand secours. Fellag a su saisir quelques facettes de cet humour mais il a , en vérité, copié un grand homme de théâtre, vivant en France : Mohand Ouyahia, un mathématicien qui a, entre autres, traduit les contemporains chinois en kabyle.
L&L : Le rapport entre les sexes semble aussi fait de violence et de méconnaissance réciproque. Quelles en sont les principales causes ?
Y. Z. : Les rapports entre les sexes sont un peu biaisés par la tradition, la religion et lhypocrisie des Algériens. Mais, chez les jeunes générations on peut noter de grands changements. La sexualité, elle-même, des jeunes filles algériennes dans les villes se métamorphose. Depuis maintenant une dizaine dannées, les rapports sexuels en dehors du mariage sont assez fréquents. Mais, cest difficile de quantifier ces mutations à léchelle du pays. Avec la paupérisation dune grande partie de la population, la prostitution touche de nombreuses jeunes filles ; les grand hôtels de la capitale sont devenus un point de chute de filles de 18 à 25 ans, belles à souhait, elles gagnent leur vie en vendant leurs corps aux nouveaux riches et ne se font aucun complexe ni remords
L&L : Tu as édité quelques ouvrages en Algérie. Cela fut-il une chose aisée ?
Y. Z. : Jai publié un recueil de nouvelles à Alger en 2000 (intitulé Lâme de Sabrina, chez El Barzakh). Cela sétait fait sans aucun problème ; le livre avait eu un réel succès au niveau des lecteurs et des médias mais la distribution navait pas vraiment suivi. En dehors dAlger, le livre était introuvable. Lorsquil marrivait de parcourir le pays profond, on me demandait mon livre et jétais souvent gêné, je ne savais pas quoi répondre à ces nombreuses sollicitations.
L&L : Tu es venu en France lan dernier pour proposer un manuscrit chez des éditeurs parisiens. Quel sont les difficultés que tu as rencontrées et les conclusions de cette aventure ?
Y. Z. : En janvier 2001, jétais venu à Paris avec dans mes baggages un roman et un essai. Jai donné mes écrits à quelques éditeurs parisiens mais je crois quils ne les ont même pas lus ! Ce nest pas aussi grave que ça ; jai eu le temps de visiter certaines curiosités de la Ville Lumière et jétais agréablement reçu par mes cousins installés à Paris. Mon essai intitulé Les Non-dits de la tragédie algérienne sort finalement au mois de septembre 2002 à Bruxelles ; je crois que cest un livre qui ne va pas passer inaperçu.
L&L : Ces dernières années, la France a commencé à faire un inventaire sur son histoire algérienne. Quelle est ton opinion ? Quels sont les point essentiels, et secondaires, qui restent encore à sortir de lombre ?
Y. Z. : Sincérement je ne me sens pas vraiment concerné par ces histoires de guerre dAlgérie et autres. Pour moi, cest de lHistoire ; il suffit de la raconter sans tricherie. Moi, je me bats contre la torture que le pouvoir algérien fait subir encore aujourdhui aux Algériens ; la torture des français est déjà lointaine.
L&L : Concernant la guerre, les Algériens ont-ils encore du ressentiment à légard de la France ?
Y. Z. : Je suis sûr dune chose : les Algériens nont aujourdhui ni ressentiment ni rancune envers les Français. Jai vécu moi-même des situations difficiles à croire : des anciens combattants algériens disant leur regret de sêtre battus contre les Français en voyant les injustices terribles de lAlgérie indépendante !
L&L : Quest ce qui pénalise aujourdhui le développement démocratique et économique de lAlgérie ?
Y. Z. : LAlgérie est lotage de ses dirigeants ; lAlgérie est entre les mains de militaires qui ne veulent pas la lâcher. Les gens qui dirigent lAlgérie sont les mêmes depuis 1962 et ils ne sont pas prêts à abandonner leur prise. Ces gens là, corrompus et assassins, sont soutenus par les puissances occidentales qui ne voient lAlgérie que comme un baril de pétrole et un territoire où lon peut faire des affaires louches.
L&L : Quels sont les atouts de ce pays dans une économie mondialisée ?
Y. Z. : LAlgérie est un pays extrêment riche : 1200 km de côte, pétrole et gaz à gogo, or et uranium, fer et autres minerais, vastes plaines pour lagriculture, une population jeune et vivace. Mais toutes les initiatives qui échappent au contrôle des décideurs sont interdites. Le terrorisme lui-même est entretenu pour continuer à faire des affaires sans être inquiété. Par une méthode ou une autre, les éventuels investisseurs étrangers sont découragés pour que continue le règne de limport-import.