Propos recueillis par
Olivier
Jakobowski

Mai 2002

epuis Octobre 1999, Malik Tahar-Chaouch suit un Doctorat Études des sociétés latino-américaines dans le cadre de l’Institut des Hautes Études de l’Amérique Latine à la Sorbonne Paris 3. Son sujet de thèse est « Le paradigme de la théologie de la libération » sous les directions de Jean-Pierre Bastian (sociologie des religions) et Jean-Michel Blanquer.
Malik a d’abord vécu à Mexico au Mexique. En Janvier 2002, il s’est installé à Bogota, capitale de la Colombie. Il y est actuellement Professeur de la Pontificia Universidad Javeriana en Histoire des idées politiques et Sociologie Politique.
Il débute, pour la revue L’Un [est] l’Autre, une série d’interviews pour nous faire partager ses expériences en Amérique latine et pour contribuer à nous éclairer sur la situation politique et sociale dans cette partie du Monde.

L’Un [est] l’Autre : En début de mandat, le président des Etats-Unis George W. Bush prétendait que « ce siècle sera le siècle des Amériques ». Les attentats terroristes du 11 septembre contre New-York et Washington, puis l’offensive américaine en Afghanistan ont bousculé cette priorité. Mais au siège de l’Organisation des tats américains (OEA), dans un discours télévisé retransmis de Washington vers l’Amérique latine, le président Bush a voulu reprendre en mains le destin du continent, se posant en chef de guerre antiterroriste et en pourfendeur du protectionnisme. Quelles ont été les réactions au Mexique et en Colombie ?

Malik Tahar-Chaouch : En effet, il est coutumier de penser qu’une administration républicaine aura plus tendance à être tournée vers des préoccupations internes aux USA que vers le monde et cela c’était clairement manifesté au début de l’administration Bush. En particulier, par le désengagement relatif des USA dans le processus de paix israélo-palestinien. Le rapprochement géopolitique des priorités affichées par le calendrier international de l’administration Bush vers les Amériques marque le même tournant. Après des décennies de gouvernements priistes (1), le Mexique avait connu une alternance politique vers la droite conservatrice particulièrement appréciée aux USA et dans la perspective d’intégration économique régionale en cours entre ces deux pays et le Canada, le gouvernement mexicain était entrain de négocier avec l’administration Bush la résolution des problèmes migratoires entre les deux pays. Vicente Fox, le nouveau président mexicain, avait fait une entrée remarquée au congrès nord-américain juste avant les attentats du 11 septembre pour réclamer aux membres du congrès nord-américain de travailler à un projet de régulation de la situation migratoire des mexicains qui vivent aux USA. Le ministre des affaires étrangères mexicain, Jorge Castañeda, célèbre intellectuel de gauche et ancien ennemi numéro 1 des accords d’intégration économique avec ses voisins du nord, aujourd’hui au service du gouvernement de Fox, avait axé toute sa stratégie internationale sur la recherche d’accords autour de la question migratoire avec les USA . Cela assurerait en effet au gouvernement de Fox une grande popularité. Le Mexique entrerait alors apparemment dans le club tant convoité des pays du «premier monde». Cela impliquerait des bénéfices réels pour les mexicains irréguliers aux USA et leurs familles mexicaines et les classes moyennes mexicaines ne sont pas contre, bien au contraire. En ce qui concerne la Colombie, les relations entre les deux pays étaient déjà marquées avant les attentats du 11 septembre par l’appui inconditionnel de l’administration nord-américaine au plan Colombie, un plan militaire d’éradication de la culture de drogues et du narcotrafic qui dissimule ses véritables intentions, c’est-à-dire l’éradication des guérillas et en particulier de la guérilla la plus puissante du pays, la FARC. Et puis deux grandes tours sont tombées… les résultats ne se sont pas faits attendre. Le repli des USA sur la protection de leur territoire national a immédiatement gelé les beaux rêves de Fox, quoique son administration ait apporté un soutien sans faille à la politique étrangère des USA et que les bonnes intentions se soient publiquement maintenues. Ce dossier n’a pas beaucoup évolué depuis lors. « L’amitié des peuples s’arrête là où commandent les intérêts nationaux » titrait un journal mexicain. Enfin, le discours offensif de Bush dans le dossier de la lutte contre « le terrorisme international » s’est immédiatement traduit par l’apparition des guérillas de gauche colombiennes, la FARC (2) et l’ELN (3), et des AUC d’extrême droite (4) sur la liste des ennemis de l’humanité. Ceux qui se faisaient appelés jusqu’alors les guérillas, les subversifs, les paramilitaires ou les violents sont devenus d’un coup de baguette magique les terroristes. Les raisons pour lesquelles les négociations de paix se sont rompues entre le gouvernement colombien et la FARC sont obscures, même si les négociateurs évoquent des raisons intelligibles (problèmes de contrôle militaire de la zone des négociations, le Caguan, cédée à la FARC par le président Pastrana et refus de la FARC de cesser ses actions violentes), mais il est évident que ce nouveau vocabulaire n’a pas aidé à maintenir la sérénité dans les négociations.

L&L : Alors quelles ont été les réactions des opinions publiques?

M. T.-C. : Pour des raisons historiques et géographiques, le Mexique est un pays résolument tourné vers les USA. Les accords d’intégration économique et les flux migratoires du Mexique vers les USA évoquent une relation pas toujours harmonieuse mais extrêmement « serrée ». Il est courant que les mexicains se plaignent ou se moquent des « gringos » mais il est rare qu’il n’aient pas des liens personnels avec leur puissant voisin. La réaction générale a donc été d’effroi et de rejet face aux attentats. Néanmoins la mémoire nationale est aussi nourrie d’anti-impérialisme. Le résultat est donc une contradiction entre la proximité émotionnelle avec les événements du 11 septembre et le rejet traditionnel de l’interventionnisme nord-américain. L’opinion publique mexicaine est restée tendue entre des positions favorables à l’intervention nord-américaine en Afghanistan, un rejet épidermique et violent des attentats, et une certaine réprobation de fond sur le fait d’aller bombarder des populations finalement innocentes (rappelons-le). Néanmoins quand, dans un zèle pro-américain récent, Jorge Castañeda a proposé aux USA l’appui militaire du Mexique, la vieille tradition mexicaine de neutralité diplomatique a été défendue par une levée de boucliers au congrès et dans la population. Cela a même fait rire. La bonne sagesse populaire s’est demandée en quoi l’appui militaire mexicain pouvait être utile aux USA. Des fusils pour l’Afghanistan ? Les réalités du pays, notamment l’immense pauvreté sociale qui demeure dans ce pays, ont rappelé le gouvernement mexicain à la modestie. Mais n’oublions pas néanmoins, même si c’est peu connu, que de nombreux mexicains immigrés aux USA voient le règlement de leur situation irrégulière et même le conditionnement de leur liberté individuelle soumis à leur participation aux conflits extérieurs des USA : il est une tradition nationale aux USA d’envoyer au loin les noirs et les « métèques » comme chair à canon pour défendre les valeurs de leur civilisation. Mais, pour résumer, l’opinion publique mexicaine a conduit son gouvernement vers un appui mesuré à l’interventionnisme nord-américain.

En Colombie, les conséquences de la lutte contre le terrorisme international sont beaucoup plus concrètes. Nous sommes en période pré-électorale et le grand favori du scrutin, Uribe, a fait de l’éradication des guérillas son thème favori. Cela enlève de l’importance à d’autres projets qu’il a en tête comme par exemple des privatisations et des mesures économiques déjà négociées avec le FMI. Il règne donc en Colombie deux sentiments sur l’interventionnisme nord-américain qui correspond plus ou moins au camp de la guerre et au camp de la paix. Le « camp de la guerre », fatigué du conflit armé et décu par les négociations de paix, exige des mesures fortes pour éradiquer les guérillas et pacifier le pays. Le « camp de la paix », chaque jour plus minoritaire, ne croit pas que les problèmes du pays puissent se réduire au problème de la présences des guérillas et n’envisage de toute facon pas de solution militaire viable pour régler ce problème. Les uns appuient l’interventionnisme nord-américain, les autres le rejettent au nom des effets désastreux qu’il a eu par exemple dans leur pays. Ils savent d’où viennent les armes qui tuent. Autre détail comique : quand après les premières heures des attentats du 11 septembre des mesures exceptionnelles ont été prises dans le pays, certains se sont demandés ce que cette situation pouvait avoir d’exceptionnelle pour le pays le plus violent du monde. Des risques d’attentat islamique en Colombie ? Les discours prennent le pas sur les réalités.

Des opinions publiques qui réagissent donc en fonction de leurs divisions internes et de leur histoire particulière avec les USA.

L&L : Depuis leur indépendance, Les États d’Amérique centrale et latine ont connu des histoires mouvementées, caractérisées par une violence politique quasi permanente, et l’omniprésence de l’ingérence nord-américaine. Depuis le début du XXe siècle, les factions politiques s’affrontent par bandes armées interposées. L’inégalité économique entre les oligarchies terriennes et le peuple, ainsi que les sentiments racistes envers les Indiens, accentuent les clivages inhérents à ces sociétés. Quelles sont les specificités du Mexique et de la Colombie ?

M. T.-C. :
La violence politique caractérise en effet la réalité latino-américaine mais d’autres violences, urbaine et intra-familiale, sont en réalité beaucoup plus meurtrières. En Colombie, on meurt beaucoup plus lors de la semaine sainte… quand les familles se réunissent. Il faut rappeler le cas du Salvador où après une guerre civile extrêmement cruelle, la paix a dégénéré en une violence urbaine qui fait encore plus de victimes (même si moins « sensibles ») que la guerre civile. Néanmoins la violence politique est un facteur d’accroissement des autres violences parce qu’elle limite la recherche de solutions négociées et concertées et détruit le tissu social. En Colombie, la poursuite du conflit est liée aux alliances complexes qui existent entre guérillas, paramilitaires, délinquance commune et narcotrafic. Et certains ajoutent aux inégalités sociales. Mais je crois que si l’on prend pour hypothèse que la violence politique a des effets directs et indirects (hypothèse malheureusement peu développée), la violence politique au même titre que le narcotrafic est un problème majeur et déterminant en Colombie. Ceux qui critiquent la FARC pour instaurer un état de guerre dans le pays, souvent avec des arguments valables, oublient aussi que lorsque la FARC se dirigeait dans les années 80 vers la création d’un parti politique (le parti des patriotes), tous les leaders de ce parti (autour de 4500 en cinq ans) furent exterminés par les paramilitaires et sans que l’État n’intervienne pour remédier à la situation. Cela complique les négociations. La violence politique n’est pas non plus absente du contexte mexicain, c’est le moins que l’on puisse dire, mais au moins il s’y développe une société civile capable de s’organiser en contre-pouvoirs. La présence de cette société civile explique sans doute les caractéristiques du mouvement zapatiste. Ce n’est pas une guérilla au sens colombien, c’est-à-dire une armée irrégulière organisée pour la prise du pouvoir qui contrôle des territoires, sinon un type de mouvement situé sur les frontières de la mobilisation politique, civile et armée. Il peut organiser une caravane qui traverse le pays avec l’appui des autorités, avec un service d’ordre italien issu des mouvements anti-globalisation, et même entrer au parlement, et ensuite se retrancher dans ses territoires. Le Mexique et la Colombie se situent actuellement dans des dynamiques profondément différentes.

Cela n’est pas nouveau. Avant l’arrivée des espagnols, le territoire mexicain était dominé par des grands empires comme les Aztèques et les Mayas qui pouvaient s’étendre jusqu’au nord de l’Amérique Centrale, en particulier jusqu’à l’actuel Guatemala. Le Mexique est peut-être le pays latino-américain le plus « américanisé » du continent mais étrangement c’est peut-être aussi le plus singulier et le plus fier de sa culture. Bien entendu cela n’est pas exempt de contradictions, tu as mentionné le racisme et la marginalisation séculière des populations indigènes, mais c’est un fait : ce qui frappe au Mexique c’est la richesse de sa culture et la volonté de la faire partager et aimer. Néanmoins il faut rappeler que le discours nationaliste de revendication des racines indigènes reste un discours de pouvoir. L’anthropologue mexicain Canclini analyse par exemple comment le musée national d’anthropologie est organisé en fonction de ce discours intégrateur de pouvoir. Si l’on compare avec le Costa Rica où j’ai aussi résidé un long séjour, le contraste est bien entendu saisissant. Ce pays semble être privé d’histoire et d’identité mais les étrangers payent plus que les nationaux pour visiter ses volcans et ses parcs nationaux. De fait, à l’arrivée des colons espagnols, il y avait très peu d’indigènes sur son territoire et ils furent presque tous victimes du travail forcé. Il est très majoritairement de population blanche (92 %) malgré la présence de quelques communautés indigènes et d’une importante population noire cantonnées dans le sud-est du pays. On y dit que la nouvelle de l’indépendance nationale décidée par la couronne d’Espagne y arriva un peu en retard et qu’une partie de ses élites ne la souhaitait pas mais l’indépendance se fête… comme une conquête. Un peu moins que la vierge noire, protectrice du pays. C’est un pays verdoyant et tranquille, avec une grande diversité de paysages et une impressionnante richesse biologique. Il n’a plus d’armée nationale. Pour tout cela, on l’appelle « la Suisse de l’Amérique Latine ». Il fut un centre d’organisation de l’appui international aux guérillas des autres pays d’Amérique Centrale dans les années 70 et 80 et son président d’alors, Arias, a joué un rôle décisif dans la signature des accords de paix régionaux. Il y gagna le prix Nobel de la paix. Mais le pays donne une impression désagréable de platitude historique. Il sonne creux. Le Mexique en revanche c’est un pays de reliefs géographiques et historiques avec beaucoup de contrastes régionaux et une forte identité nationale. La situation pré-hispanique colombienne est fort différente. La présence indigène y était importante mais plus dispersée. Certains y voient les origines des limites des projets d’intégration nationale défendus depuis Bolivar et un facteur de violence. C’est une hypothèse parmis tant d’autres. En Colombie, le discours sur la violence est devenu une tradition nationale, même si le sens de la nation n’y est pas forcément traditionnel. Aucun déjeuner ou dîner ne peut échapper au thème et à ses longs développements contradictoires où les mythes et les réalités se mêlent. De fait, il existe une littérature sur la violence, une littérature de la violence, c’est-à-dire des genres littéraires liés à la violence déjà classifiés et organisés en ordre chronologique. Un ami colombien m’a dit une fois : « Nous, les colombiens nous sommes les plus mégalomanes du monde, nous devons nécessairement être les pires ou les meilleurs, et nous sommes toujours les plus autorisés à parler de la violence. » Il existe une blague sur la Colombie qui résume l’état d’esprit des colombiens. Dieu faisant la carte du monde avec Saint Pierre, lui dit « Nous allons aussi faire un pays qui concentre tous les climats possibles, toutes les espèces végétales possibles, toutes les richesses minérales possibles, toutes les géographies possibles, etc. » Saint Pierre le coupe et lui dit : « Mais c’est pas une répartition un peu inégale des richesses ? », Dieu Conclut « Quand tu verras la bande de fils de pute que je vais t’y mettre… » Et oui la Colombie est riche de tout et cela explique peut-être paradoxalement certaines de ses difficultés.
Ce qui frappe au Mexique c’est la richesse de sa culture et la volonté de la faire partager et aimer
Il faut maintenant revenir sur la conjoncture politique qui distingue ces deux régions, Mexique et Amérique Centrale d’un côté, Colombie et pays andins (5) de l’autre.

Le Mexique est actuellement dominé par trois actualités : le processus d’intégration économique avec le nord du continent, le conflit du Chiapas au sud du pays et l’alternance démocratique au centre de la République. Trois actualités qui divisent le territoire en trois parties : une aspiration à faire partie du bloc de l’Amérique du Nord qui émerge surtout du nord industrialisé du pays mais concerne des acteurs de tout le territoire, un soulèvement qui s’organise dans les zones du sud du pays, à majeure concentration indigène, qui apparaît avec un projet alternatif de société la même année que la signature des accords économiques avec les USA et le Canada et une alternance politique qui répond aux aspirations d’une grande partie du pays, et en particulier du nord du pays, mais qui s’installe dans la capitale et sert davantage le projet d’intégration économique qu’une réforme des lois sur les territoires indigènes jugée très insuffisante par la société civile. Cette division du territoire en trois fait honneur à un vieux dicton mexicain : « Le nord travaille, le centre gouverne et le sud se repose. » Mais la nouveauté c’est que le sud ne dort pas, il se soulève : même s’il ne faut pas l’oublier, certains des leaders de ce mouvement viennent des mouvements syndicaux du nord du pays, en particulier Marcos. Les accords économiques entre le Mexique, les USA et le Canada apparaissent après que les guerre civiles centre-américaines soient conclues par des accords de paix… tous relatifs. Et le soulèvement du Chiapas, collé à l’Amérique centrale, indique précisément l’existence d’antagonismes entre des projets de société qui naissent cependant ensemble de la nouvelle situation historique. Le développement de la société civile qui conteste les politiques du gouvernement actuel s’explique dans un contexte d’ouverture qui aboutit à l’alternance politique mais les acteurs de ces changements assument des héritages idéologiques et politiques radicalement différents et souvent antagonistes. Le zapatisme manifeste l’apparition de mouvements contestataires d’une nature nouvelle, à la fois mondialisés et profondément locaux, à la fois armés et organisés comme un mouvement social, à la fois tournés vers des objectifs politiques et liés à des revendications culturelles. Malgré toutes ses ambiguïtés et ses limites, il dit beaucoup de notre époque et il indique des voies que nous n’avons pas fini d’explorer. Cependant, le résultat de tout cela, c’est aussi que le Mexique a de plus en plus tendance à rechercher son appartenance au nord du continent et à durcir sa frontière avec le Guatemala. Prendre un bus au Chiapas, c’est nécessairement se confronter à l’arrestation de clandestins guatémaltèques ou salvadoriens qui ne connaissent pas le nom du président du Mexique et le nom du gouverneur du Chiapas. Cette recherche d’intégration vers le nord, vers le premier monde, dans un pays largement tiers-mondisé marque des divisions sociales et idéologiques qui s’accroissent. Le Mexique est entrain de devenir le principal centre universitaire de l’Amérique Hispanique, par la qualité de ses chercheurs et de ses institutions, mais il est aussi le pays de beaucoup d’analphabètes. Le quartier d’affaire de Las Lomas à Mexico semble être bien loin des préoccupations du front zapatiste. Ces antagonismes et ces contrastes sont néanmoins caractéristiques d’une société en mouvement qui connaît des transformations dont la portée transcendantale mobilise jusqu’à l’Europe. Il y a peu on y a assassiné une avocate d’organisation des droits de l’homme, et certes, le crime est toujours impuni, mais il n’est pas passé inapercu : la société a réclamé justice.

Ce n’est malheureusement pas ce qui se passe en Colombie. L’activité nocturne de Bogota est dominée par les trafics de drogue… et de cadavres. Mais de toute facon la mort en Colombie n’est pas cachée, c’est déjà un vieux refrain. Elle peut frapper n’importe qui, même si elle a ses préférences : paysans de zones de conflit, délinquance commune et population marginale. Ici un assassinat ne fait plus la une des journaux, à moins qu’il touche une personnalité importante… vite enterrée. Mais d’un point de vue géopolitique c’est l’ensemble de la zone andine qui se trouve en situation d’instabilité : récents soulèvements populaires en Bolivie et en Equateur, crise du fujimorisme au Pérou et situation de conflit armé généralisé en Colombie. Le Vénézuela, voisin de la Colombie, n’échappe pas à la tendance puisque la tentative de coup d’État contre le dirigeant populiste, Chavez, a montré la gravité de la situation d’incertitude politique dans ce pays. Il est évident que les USA ont adopté une nouvelle stratégie dans cette région. Ils ont « lâché » leur ancien allié Fujimori et adopté des mesures draconiennes pour la lutte contre le narcotrafic et tous les types de subversion qui puissent menacer leurs intérêts économiques et leur idée d’une stabilité régionale future… future, oui. Il y a une volonté de faciliter les ouvertures économiques et de briser les protectionnismes dans cette zone géographique qui se heurte de toute facon à des résistances.

Vu depuis Bogota, le conflit colombien semble parfois virtuel. Bogota n’échappe pas aux effets du conflit : attentats, attaques contre des infrastructures d’intérêt général pour la capitale, présence invisible mais active des réseaux de surveillance des acteurs du conflit. Cependant, c’est une ville qui donne l’impression de vivre en dehors du conflit. Une bombe a explosé à deux rues de la maison d’un ami colombien qui me confiait que le fait de voir l’attentat à la télé lui donnait l’impression que cela s’était passé loin, à l’autre bout du monde. Dans un restaurant bon marché où se rendent les étudiants de l’université Javeriana, une des universités privées les plus prestigieuses du pays, les images d’attentats et de massacres défilent. Tout cela se passe généralement plus en province. Personne n’est vraiment attentif. On annonce une coupure d’électricité prochaine, les regards se tournent inquiets vers la télé… en province : ouf. Les regards regagnent leurs assiettes. C’est le sentiment un peu irréel du conflit armé qui règne à Bogota. Presque là, à quelques kilomètres, mais jamais vraiment là. Certains disent qu’il arrive… mais ce qui devait arriver est peut-être déjà arrivé. Gris, urbain, vide… un drame silencieux qui danse ses différends sur des revues nécrologiques, toutes proches et déjà oubliées. Une vieille rengaine.


Notes:
(1) gouvernement priiste: durant des décennies le gouvernement mexicain a été controlé par les membres du parti politique PRI (parti de la révolution institutionnelle) issu de la révolution mexicaine au début du siècle, lequel articule de nombreuses tendances: libérale, populiste et sociale-démocrate mais se carcatérise pour son opposition au conservatisme et à l’Eglise catholique
(2) FARC: Forces armées révolutionnaires colombiennes ; en fait il faudrait dire les FARC
(3) ELN: Armée de libération nationale
(4) AUC : Autodéfenses unies de Colombie ; les groupes d’autodéfense empruntent ensuite des voies offensives qui caractérisent l’emergence du vocabulaire du paramilitarisme
(5) Pays andins : Bolivie, Pérou, Colombie, Equateur, Chili (qui fait aussi partie d’un autre ensemble régional qui le caractérise plus : le Cône Sud) voire le Venezuela, voisin de la Colombie, pour des raisons d’accords économiques et de coopération politique.



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