epuis le 14 avril, la foule se presse au centre Georges Pompidou à Paris. Rien qui ne sorte de lordinaire, dira t-on. Pourtant, les courageux qui auront réussi à obtenir leur billet avant de perdre patience, pourront alors entrer dans un monde étrange et fantastique fait dobjets insolites mais dune beauté lumineuse.
En effet, 38 ans après sa mort, Brâncusi est de retour à Paris. Cest la première rétrospective de son uvre faite en France depuis 1957. Cent trois sculptures, trente-huit dessins et cinquante-cinq photographies originales de lartiste, provenant de musées de Roumanie, du musée National dArt Moderne de Paris ou des collections de musées américains, sont exposés à Beaubourg.
Né en 1876 à Hobita, en Olténie, Constantin Brâncusi a fait ses études à lÉcole des Arts et Métiers de Craiova, puis à lÉcole des Beaux Arts de Bucarest. Il part pour Paris en 1903 et y arrive le 14 juillet 1904 en ayant fait une grande partie du voyage à pied. Il entre alors à lÉcole Nationale des Beaux Arts. De 1916 à sa mort en 1957 il occupera un atelier, impasse Ronsin, dont il fera un univers de légendes.
Si ses premières uvres sont encore influencées par Rodin, à partir de « La Prière » (1910), son style évolue vers une simplification et une épuration des formes, vers labandon de tout détail inutile. « La Princesse X » (1916) na plus rien de figuratif ; cest une forme pure où la tête, la gorge et les seins sont réduits à une courbe géométrique dans laquelle se reflète la lumière. Dès lors luvre de Brâncusi peut être divisée en trois groupes. Le premier évoquerait les mystères de la Cosmogonie, le second les êtres vivants et le troisième les communications entre le Ciel et la Terre.
« La Création du Monde » (1924) est un parfait uf de marbre dun lisse prodigieux. « La Muse endormie » (bronze, 1917) névoque pas le dormeur mais plutôt la sérénité du sommeil et de ses rêves. Les sculptures en bois sont faites, par contre, de formes rudes aux arêtes tranchantes, pleines de parties creuses et de trous dombres. Elles appartiennent à lhistoire de lhomme, à la dualité du Bien et du Mal, comme Adam et Ève (1921), « Socrate » (1923) ou « Le Roi des Rois » (lEsprit de Bouddha, 1930). Elles donnent limpression dêtre des totems magiques de sorciers africains ou de sculptures primitives que lon aurait découverts dans quelque caverne des Carpates.
Le groupe des êtres vivants est représenté par des sculptures aux noms danimaux tels « Le Phoque », « Les Tortues », ou le cycle des « Oiseaux ». Brâncusi na cependant pas cherché à représenter la morphologie de lanimal, mais son essence. Ainsi les différentes versions des « Oiseaux dans lEspace » représentent une flèche matérialisant le vol de loiseau. Le mouvement matérialisé devient alors acte spirituel.
Enfin, le thème de la liaison entre le Ciel et la Terre tient autant à larchitecture quà la sculpture. Le meilleur exemple traverse toute la ville roumaine de Tîrgu Jiu. Cest un ensemble monumental dédié aux morts de la première guerre mondiale et composé de trois sculptures principales dont la disposition marque le parcours des morts pour arriver au Ciel. Partant de la rivière Jiu, on chemine par la « Table du silence » et la « Porte du baiser », avant darriver par un parc à la « Colonne sans fin ». Dune hauteur de 30 mètres, elle est composée de 16 volumes de forme rhomboïdale qui rappellent certaines ornementations de larchitecture des maisons paysannes roumaines. Telle un axis mundi sorti directement des croyances primitives, elle est léchelle spirituelle qui doit mener lhomme jusquau Ciel et à lÉternité.
Toute luvre de Brâncusi exprime une pureté des formes qui semblent caressées par la lumière, une beauté sereine délivrant les mystères magiques de la Création. Cest un art vrai et réel qui nous parle de lunivers en y intégrant les choses et les êtres. Cest aussi un art extrêmement positif. Brâncusi disait lui même : « Il ne faut pas respecter mes sculptures. Il faut les aimer et avoir envie de jouer avec elles
je veux sculpter des formes qui puissent donner de la joie aux hommes ».
Didier Schein.
Rétrospective Constantin Brâncusi
à Paris au Centre Georges Pompidou,
du 14 avril au 21 août 1995.