Bogdan
Stefan

Mai 1995

es 17, 18 et 19 mai au Kino Ciné, à Villeneuve-d'Ascq, vous aurez l’occasion de découvrir ( ou de redécouvrir dans une autre ambiance) un cinéaste roumain : Lucian Pintilie.
On a voulu ainsi faire mieux connaître un des plus représentatifs cinéastes roumains, surtout encadré de plusieurs de ses films à travers lesquels il essaye de peindre, avec les yeux du cinéma, les traits d’une réalité qui est souvent regardée d’une façon monotone et pleine de clichés. Lucian Pintilie éclaire et capte cette réalité roumaine à sa façon, c’est vrai, sous son style de vue personnel mais en même temps il enrichit cette vision en l’avouant comme la sienne ; son apparition à la fin de « Scènes de Carnaval » (film censuré de ’80 à ’90) en train de manipuler lumières, caméras et acteurs, n’est-elle pas le reflet d’une éternelle tromperie de soi-même : c’est l’artiste qui croit diriger et maîtriser le monde qu’il vient de créer, mais en fait, ce monde l’engloutit en faisant de lui son acteur. J’écrivais dans le numéro précédent que la plupart des metteurs en scène roumains sont arrivés derrière la caméra après avoir fait leurs débuts (et en y puisant une source d’inspiration particulièrement riche) au théâtre. Lucian Pintilie n’est pas une exception, un de ses spectacles a constitué pour lui le début de la fin de sa carrière dans la Roumanie socialiste. Il reviendra après quelques années et après quelques succès sur les scènes parisiennes, pour réaliser un film tiré d’un des classiques de la littérature roumaine, Ion Luca Cariagale, dont l’œuvre se constitue dans une sorte de microscope de l’âme roumaine dans tous ses états. « Scènes de Carnaval » est donc la mise en images d’une infatigable et effrontée vitalité roumaine, vitalité qui nous a toujours empêché d’aller jusqu’au bout de nos idéaux, de nos drames, de nos souffrances. Il y a quelque chose (qu’on pourrait appeler « l’euphorie du désastre » et elle nous a fait survivre à plus de cinquante ans de dictature), une blague, un plat, une déconnade qui nous a fait manquer notre rendez-vous avec le tragique. Le metteur en scène qui apparaît au pré- et au post-générique nous dit et redit qu’une fois qu’il a vu et enregistré tout cela, la nausée et l’horreur sont totales. Le verdict est implacable, il n’y a plus de solutions. Seul le retour au spectacle de cette vitalité, peut se constituer dans une remise en question qui pourrait amener une future réponse.
J’écris tout cela sur le film avec l’espoir que mon évocation fasse office de prière puisque « Scènes de Carnaval » ne figure pas sur la liste des films distribués en France et que seul un miracle (que L. Pintilie ait le temps d’accepter notre invitation et qu’il amène avec lui sa propre copie du film) pourrait nous le faire voir dans le cadre de la rétrospective. Cependant, même si rien de spécial ne va se passer, le Kino et Esteur’op (partenaire de cet événement) vous invitent à participer à la rétrospective qui comporte jusqu’à maintenant, les deux derniers films de Lucian Pintilie : « Le Chêne » et « Un Été inoubliable » avec un programme de soirées roumaines.

Bogdan Stefan