Costel
Mladin

Mai 1995

« Veniti la mine toti cei osteniti si impovarati
si eu va voi odihni pe voi. »
La Bible.


a rivière de Somesul Mic, descendant des Carpates d’Ouest et arrosant le vaste plateau de la Transylvanie a créé des conditions favorables au développement des cités humaines qui s’y sont répandues depuis plus de 2000 ans. Parmi les plus importants habitats connus à l’époque où ce territoire a été habité par les Daces se nombre la cité de Napoca (actuelle ville de Cluj). Celle-ci reçoit le qualificatif de municipe (lat. municipium) pendant l’occupation romaine (124) et celui de colonia (le rang le plus haut dans la hiérarchie urbaine de l’Empire romain), un siècle plus tard. Au XVIe siècle, la ville est désignée comme la plus importante de toute la Transylvanie (lat. civitas primaria), attribut qu’elle a gardé dans la conscience des Roumains, même aujourd’hui.
Sur la rive gauche du Somes se dresse une colline rocheuse d’une cinquantaine de mètres de hauteur, renommée au moyen-âge pour ses vignobles. Après le traité de paix de Satu Mare (1711), qui imposait l’autorité austro-hongroise sur la Transylvanie, on y a fait construire une forteresse où étaient logés les soldats d’une garnison ayant pour mission de surveiller les habitants de la ville. Depuis ces temps là l’endroit est connu sous le nom de «la Forteresse».
La construction massive et à des étapes successives de quartiers résidentiels ou industriels commencée vers la fin du siècle dernier a eu pour conséquence, entre autre, le fait que cette colline se trouve à présent au centre de la ville dont elle est devenue presque un symbole.
De la vieille fortification il ne reste, malheureusement, que trois bâtiments assez bien conservés mais mal mis en valeur. En échange, le plus grand hôtel de la ville fut placé juste au sommet de la colline. C’est de là qu’on peut avoir le plus beau panorama de la cité.
La structure de la population, par ethnies et par religions reflète pleinement l’histoire mouvementée de toute cette région. Les Roumains, majoritaires, cohabitent avec les Hongrois, avec les Juifs et avec un nombre plus restreint d’Allemands. Outre les orthodoxes, majoritaires aussi, il y a beaucoup de catholiques, de protestants, de calvinistes, d’unitariens, etc… Mais un lieu à part est détenu par le grand nombre des uniates, croyants qui reconnaissent la suprématie du Pape, tout en conservant la liturgie orthodoxe. Leur rôle dans la formation de l’État national (en 1918) a été très important. C’est à l’initiative du clergé uniate que de 1935 à 1937 sur «la Forteresse» on a fait construire une croix de dix mètres de haut (en béton armé) qui se voulait un symbole du christianisme, partagé par la plupart des habitants de la ville, mais aussi de la tolérance et de l’harmonie des confessions religieuses. En 1949 les uniates furent mis hors la loi, leur clergé fut exterminé dans les prisons communistes (dans le cas où ses membres ne voulaient pas passer de force à l’orthodoxisme), les croyants furent bannis, leurs églises furent fermées ou cédées aux orthodoxes. La croix sur la colline fut démolie par explosion le 6 octobre 1948, à quatre heures trente.
Après la chute du communisme, les uniates ont obtenu la reconnaissance de leurs droits légitimes. N’ayant cependant pas recouvré tous leurs lieux de culte, les uniates se réunissent en plein air le dimanche matin, sur la Piata Libertatii en plein centre de Cluj.
C’est dans ce contexte, qu’en 1993 la nouvelle Église uniate avec l’Église orthodoxe et la Mairie de Cluj-Napoca a lancé un concours pour la reconstruction de cette croix, qui fut gagné par l’architecte clujois très connu Virgil Salvanu. Il ne s’agit pas seulement de refaire ce qu’on a déjà détruit mais de proposer à l’œil et au cœur, un symbole qui soit en concordance avec les exigences des temps modernes, tout en valorisant le patrimoine spirituel et artistique autochtone.
L’œuvre projetée dominera la ville de son côté historique. D’un socle massif, haut de onze mètres, évoquant la silhouette si particulière des anciennes églises en bois roumaines, surgira la croix proprement dite, haute de quinze mètres. Celle-ci aura une géométrie très simple et sera exécutée en acier inoxydable. Ses surfaces lisses refléteront le ciel, créant une liaison imaginaire entre l’univers terrestre et celui de l’esprit.
En 1993 le socle a été réalisé sur place. La croix elle aussi est en grande partie terminée. Mais faute de ressources financières suffisantes, les travaux ont été arrêtés. Malgré la contribution matérielle importante de quelques donateurs et l’enthousiasme de plusieurs associations locales, une reprise des travaux est peu envisageable. Devant ce fait, les clujois font appel à des donateurs occidentaux. Ils sont aussi à la recherche de collaboration dans les domaines de la protection anticorosive du monument et du système d’éclairage.
Sur les quatre côtés de la première croix minée en 1948, on pouvait lire un texte, tiré de la Bible et écrit en quatre langues ; roumain, hongrois, allemand et hébreux : «Venez chez moi tous ceux lassés et accablés et je vous reposerai».

Costel Mladin
Correspondant à Cluj-Napoca pour
L’UN [EST] L’AUTRE.