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Didier
Schein
Décembre 1995 |
e 3 novembre dernier, les associations « Dun monde à lautre » et « Clair Obscur » organisaient une soirée polonaise au cinéma Les Arcades, à Roubaix. La soirée se composait de trois parties : dabord une conférence de Janine Ponty sur limmigration polonaise dans le Nord - Pas-de-Calais ; ensuite un film de Maciej Dejczer, « LEspoir aux trousses » (1989), relatant lhistoire vraie de la fuite de deux enfants polonais cachés sous la remorque dun camion, de la Pologne communiste jusquau Danemark, où ils feront la découverte du capitalisme
et de la solitude de lexil ; enfin un cocktail polonais accompagné de chansons polonaises jouées par deux guitaristes. Une louable initiative, à laquelle a répondu un public en grande partie dorigine polonaise. À signaler, la présence dans la salle de M. Bukowski, ancien consul de Pologne à Lille.
Cest loccasion pour nous de mettre en valeur la personnalité de Janine Ponty et de ses recherches sur limmigration polonaise en France. Janine Ponty est professeur dhistoire contemporaine à lUniversité de Franche-Comté et elle travaille depuis vingt ans sur le sujet. Nayant elle-même aucune origine polonaise, elle sest vue obligée dapprendre la langue pour avoir accès aux archives. Auteur dune thèse sur limmigration polonaise dans lentre-deux-guerre, publiée en 1988 sous le titre : Polonais méconnus, elle vient de publier un livre aux Éditions Autrement, dans la collection Français dailleurs, peuples dici : « Les Polonais du Nord ou la mémoire des corons », ouvrage qui connaît déjà un succès important.
Le thème de la conférence de Roubaix reprenait certains points de ce dernier ouvrage. Aussi ceux qui nont pas pu être présents le 3 novembre doivent savoir quils nont pas tout perdu sils lisent ce livre aux nombreuses qualités. Dune part grâce à la vivacité du style et à lintervention danecdotes, il se lit comme un roman. Janine Ponty réussi à plonger le lecteur dans lambiance des corons dautrefois et laisse aussi une large part à lévocation des sentiments nostalgiques des vieux Polonais, parfois rapatriés, qui regrettent souvent le bon vieux temps des corons, temps maintenant idéalisé, la mémoire sélectionnant principalement les bons souvenirs, oubliant ou minimisant la dureté de la vie dautrefois. Dautre part, cet ouvrage est avant tout un livre dhistoire, enrichi de vingt ans détudes rigoureuses, que ce soit dans les archives ou sur le terrain, par des entrevues recoupées, par létude du milieu social du bassin minier, allant de lévocation de la presse polonaise en France et de la vie religieuse jusquà lanalyse de lévolution des noms polonais sur les tombes des cimetières de la région.
Janine Ponty, enfin, répond à une question pleine dactualité lorsquon songe aux problèmes que rencontre la France quant à lintégration des immigrés. On pourrait croire en effet que les Polonais se sont intégrés facilement dans la société française ; Janine Ponty nous montre le contraire. Dune part, les Polonais nétaient pas venus en France pour y rester, mais avaient lintention de repartir chez eux après quelques années. Le départ toujours reporté, ils en sont arrivés à construire un mode de vie particulier dans les corons, devenant pour eux une « nouvelle Pologne », tout imprégné dun sentiment dappartenance à cette polonité, et lattachement essentiel aux valeurs « Bog i Ojczyzna » (Dieu et Patrie). Dautre part, être Polonais en France signifiait aussi subir la xénophobie des Français.
Sil y a eu intégration, elle sest faite lentement, par paliers, et on ne peut pas dire quelle soit aboutie avant la 3e ou 4e génération, cest-à-dire les années 70. Mais cela veut-il dire que la polonité sest éteinte avec la fermeture des mines et la désertion progressive des corons ? Elle sendort peut-être, petit à petit. Mais si les signes extérieurs dune présence polonaise se font rares, il en demeure pourtant quelque chose dans les églises, dans les associations ou, surtout, dans lambiance particulière des maisons habitées par des familles dorigine polonaises, une ambiance dans laquelle les jeunes se reconnaissent, même si beaucoup ne parlent pas polonais. La polonité nest plus visible extérieurement, elle est rentrée dans les maisons.
Un autre mérite du livre de Janine Ponty est quil peut révéler la conscience de leur polonité chez des jeunes dorigine polonaise, prise de conscience qui peut aboutir à se lancer à son tour dans la recherche (elle a déjà suscité des vocations chez ses étudiants) ou dans la participation à la vie associative.
Didier SCHEIN
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