Didier
Schein
&
O. Jakobowski

Mai 1996

idier SCHEIN s’est rendu en Roumanie du 24 janvier au 18 février dernier. Sa mission à Cluj-Napoca et à Iasi a été de parfaire nos relations avec ce pays mais aussi de rechercher de nouveaux sujets et correspondants pour le journal L’UN [EST] L’Autre.
Sa maîtrise de la langue roumaine a facilité ses démarches et lui a permis d’accéder à de nouvelles sources d’information.


L’Un [EST] L’Autre : Quelles rencontres as-tu faites ? Quels sont les contacts que tu as pu prendre pendant ton voyage ?

Didier SCHEIN :
J’ai pris des contacts notament dans le domaine littéraire. À Cluj-Napoca, il nous sera possible désormais de publier des articles en roumain ou des traductions de poésies en français et en roumain dans la revue culturelle « Steaua ». Il s’agit d’une publication de l’Union des écrivains de Roumanie, section de Cluj, qui est dirigée par le poète Aurel Rau. Dans cette ville, j’ai été accueilli par notre correspondant Costel MLADIN ; celui-ci est collectionneur et se propose de réaliser des expositions de billets de banque russes et roumains, en France. Esteur’op servira de relais entre Costel et les structures d’accueil de ces manifestations.
À Iasi, j’ai pu rencontrer M. Liviu Antonesei, une personnalité importante de la ville. Professeur d’université, ancien opposant au régime de Ceausescu, rédacteur en chef de la revue culturelle « Timpul », écrivain, auteur de poésies et d’essais de sociologie, il est également président de la section de Iasi du Parti de l’Alliance Civique (PAC). Il m’a proposé une collaboration entre sa revue et L’Un [EST] L’Autre. Une page du numéro de février de « Timpul » nous est consacrée, avec un article de ma plume. Une entrevue de M. Antonesei, faisant le point sur la situation de la Roumanie depuis les dernières années, paraîtra dans le prochain numéro de L’Un [EST] L’Autre, à l’occasion des élections générales en Roumanie. Je me suis également rendu acquéreur d’un enregistrement audio des interventions faites à la Télévision Roumaine durant la révolution de décembre 1989. C’est un document historique et d’actualité très important pour la compréhension de ces événements : ce qui est spontané, ce qui est préparé, ce qui est manipulé, on apprend beaucoup de choses. J’ai commencé la traduction de ce document.

L&L : Justement, à la lumière de cet enregistrement et avec six ans de recul, comment analyses-tu les évènements en Roumanie de décembre 89 ?

D.S. :
Je n’ai pas encore eu le temps d’étudier à fond le document. Ce que je peux dire n’est pour le moment qu’une impression. Il me semble que certains membres du Parti Communiste Roumain, Ion Iliescu en tête, ont demandé à Ceausescu de se retirer, sans doute à l’occasion du XIVe Congrès du Parti. Dans sa première intervention à la Télévision Roumaine, le 22 décembre, Iliescu dit : « Il ne voulait pas céder ! », ce qui voudrait dire qu’il aurait exercé des pressions sur le dictateur. À son refus de s’en aller, se serait formé un groupe autour d’Iliescu, pour aboutir à un coup-d’état. Le problème est que les comploteurs ont été devancés par l’insurrection populaire de Timisoara, puis de Bucarest. Les premières personnes qui ont investi le Studio IV de la télévision, le 22 décembre à midi, sont des manifestants désordonnés dont les discours sont pleins d’émotion et de spontanéité. Gelu Voican-Voiculescu, le mystérieux personnage à la longue barbe grise, et Ion Iliescu arrivent plus tard, vers 15 heures. Le ton change alors profondément : plus de discours spontanés, mais des proclamations politiques bien préparées. On entre alors dans le domaine de la récupération et de la manipulation. Finalement, comme le disait M. Antonesei, une révolution n’est rien d’autre qu’une insurrection populaire doublée d’un coup-d’État.

L&L : S’il y a une expérience que tu devrais retenir de ton voyage en Roumanie…

D.S. :
J’ai eu l’occasion de donner un cours de français dans une école de Cluj-Napoca, pour une classe de 7e (des élèves de treize ans). Cette expérience, quoique courte, fut extrêmement intéressante et émouvante. La première élève que j’ai interrogée, paralysée d’emotion, n’a pas su dire un mot. Mais rapidement, après quelques mots en roumain, le courant est passé et s’est établi une sorte de complicité entre les élèves et moi.
J’ai été fortement impressionné par le niveau de français des élèves. En Roumanie, on commence l’apprentissage des langues étrangères à partir de l’école primaire, du moins quand on possède des enseignants ayant les connaissances nécessaires (ce n’est pas toujours le cas à la campagne). Je n’ose imaginer un enseignement des langues d’un si haut niveau en France: dans ce domaine, nous restons malheureusement la risée de l’Europe.
En fait, je dirais qu’un voyage en Roumanie est fortement et forcément dépaysant. On se retrouve dans une société différente, avec d’autres problèmes, au milieu d’une autre culture. On peut s’y sentir perdu, mais si on fait le pas nécessaire pour aller au contact du pays et des gens, on a l’impression d’être envahi, petit à petit, d’une sagesse intérieure. En fait, on retourne à la source de quelque chose de primordial, que chacun a à retrouver en lui-même.

Propos recueillis par :
Olivier JAKOBOWSKI