Didier
Schein
&
O. Jakobowski

Mai 1996

oger Lahaye est directeur de la Maison de la Poésie du Nord-Pas-de-Calais ; également poète et chanteur, il s’est produit en concert, à plusieurs reprises, en Macédoine. Nous l’avons rencontré en novembre dernier, au retour de son dernier voyage à Skopje. André Doms est poète et traducteur de poésie macédonienne ; connaissant ce pays depuis plusieurs décennies, il nous apporte de précieux éclaircissements sur la culture macédonienne, dont il est l’un des spécialistes étrangers.

L’Un [EST] L’Autre : Comment et quand vous êtes-vous intéressé à la Macédoine ? Racontez nous comment se sont déroulés votre voyage et votre dernier séjour en Macédoine ?

Roger LAHAYE :
J’ai commencé à m’intéresser à la Macédoine grâce aux contacts que la Maison de la Poésie a développés avec des poètes macédoniens. J’y ai ensuite effectué plusieurs concerts. Mon premier spectacle fut donné devant le Président de la République de Macédoine. Pour mon dernier voyage, j’ai été invité par la F.R.A.M.A. , une agence de voyages liée à Air France, qui essaie de créer une ligne entre la France et la Macédoine. Nous avons atterri à Sofia et rejoint Skopje en voiture. Le passage de la frontière entre la Bulgarie et la Macédoine fut apocalyptique. Dans la montagne, sous la neige et dans le froid, des files de Macédoniens qui font leurs achats en Bulgarie, attendent stoïquement que les douaniers bulgares les laissent passer. Ça dure des heures et des heures. Si on ne paie pas les douaniers, on ne passe pas. Le soir même, je me suis produit à Skopje, au Casino. Après le passage de la frontière, c’était la douche écossaise de chanter dans un tel luxe. Mon ami, le poète Eftim Kletnikov s’est vu interdire l’entrée du Casino parce qu’il ne portait pas le costume qu’il fallait. J’était révolté. Avant, j’ai enregistré à la télévision. J’ai chanté avec Jakov (1) des chansons françaises et macédoniennes.

L&L : D’après vos impressions, quels regards les Macédoniens portent-ils sur la France ? Sont-ils francophiles, francophones ?

R.L. :
L’accueil des Macédoniens est très chaleureux. Le fait d’être Français y est pour beaucoup. Il y a là-bas une très grande attirance pour la culture française. Nous sommes pour eux le pays qui représente la liberté. On y entend des chansons françaises. Charles Trénet, par exemple, est très apprécié. Skopje possède un centre culturel français. Il faut maintenant lutter pour préserver la francophilie en Macédoine.

L&L : Alors que la guerre a touché toutes les anciennes républiques yougoslaves, la Macédoine est jusqu’à présent restée pacifique. Elle est pourtant un pays dont la composante ethnique complexe laissait présager le pire. À votre avis, pourquoi et comment a-t-elle réussi à se tenir à l’écart des conflits ?

R. L. :
La paix a été préservée en Macédoine principalement grâce à la personnalité du Président M. Kiro Gligorov. C’est un homme très ouvert qui a un grand sens de la diplomatie. Il a réussi à maintenir la stabilité en intégrant des minorités au gouvernement, surtout des Albanais (2).

L&L : Justement, M. Gligorov a été victime le 3 octobre dernier d’un grave attentat dont les auteurs sont encore inconnus. Vous avez vous-même déjà rencontré M. Gligorov. Pouvez-vous nous parler de la personnalité du Président et de son état de santé actuel ?

R. L. :
L’attentat contre M. Gligorov est significatif. Il est le garant de la stabilité dans le pays. On ne voit pas très bien qui pourrait lui succéder. Il se remet lentement de ses blessures et commence à retravailler. C’est une personnalité très chaleureuse et sensible ; il reçoit des poètes de tous les pays dans sa résidence. Je l’ai déjà vu ému jusqu’au larmes, lors de l’audition de poésies.

L&L : La Macédoine connaît de graves difficultés économiques, à cause d’une part du blocus imposé par la Grèce et levé récemment, et d’autre part des contre-coups de l’embargo de l’O.N.U. contre la Yougoslavie. Comment les Macédoniens supportent-ils ces temps difficiles dans leur vie Quotidienne ?

André Doms :
La vie est devenue difficile en Macédoine. Les prix sont maintenant très élevés. Le processus de privatisation a eu pour effet d’écraser la masse salariale. Le chômage atteint 15%. Le P.N.B. n’a pas augmenté, mais l’inflation commence maintenant à baisser. Face à ces difficultés, les Macédoniens restent philosophes. C’est un peuple discipliné qui supporte les temps difficiles sans se plaindre.

L&L : Vous avez déjà assisté aux journées annuelles de la poésie à Struga. Pouvez-vous nous dire en quoi consiste cette manifestation, et évoquer l’ambiance dans laquelle elle a lieu ?

R. L. :
C’est un événement très important qui a lieu à la fin du mois d’août. La Maison de la Poésie de Struga l’organise depuis 1962. L’évènement est couvert par la télévision et la radio ; il a un écho international, puisqu’il attire des poètes du monde entier. Le soir, sur un pont qui enjambe la rivière Crni Drim, les poètes déclament leur poésie devant un jury. Plusieurs milliers de personnes assistent, toute la nuit, aux récitations. En France ce serait inimaginable qu’un public reste concentré aussi longtemps pour écouter de la poésie. À la fin du festival, un prix est décerné à un poète.

Propos recueillis par
Olivier JAKOBOWSKI
et Didier SCHEIN


Notes :

1. Jakov Drenkovski, chanteur macédonien. C.f. L’Un [EST] L’Autre n° 3.
2. Les Albanais forment environ un tiers de la population de la République de Macédoine