Didier
Schein

Mai 1996

e 14 décembre, les présidents serbe, croate et bosniaque, respectivement MM. Slobodan Milosevic, Franjo Tudjman et Alija Izetbegovic, signaient à Paris, un Traité de paix mettant fin à quatre années de guerre dans les anciennes républiques yougoslaves, principalement en Croatie et en Bosnie. Nous ne reviendrons pas sur les évènements de ces quatre dernières années, qui ont largement été médiatisés par toute la presse, de façon plus ou moins honnête. Pour faire le point sur tous ces évènements dramatiques, la chronologie ci-contre retrace le déroulement des quinze dernières années de la vie politique yougoslave. Nous nous efforcerons plutôt d’expliciter un peu les différentes clauses du Traité conclu sous l’égide de la communauté internationale et de tenter d’en tirer quelques enseignements.

Le point du Traité qu’on nous a assuré être le plus important est bien entendu la garantie du maintien d’une république unique de Bosnie-Herzégovine dans ses frontières actuelles. Ce nouvel État est composé de deux entités administratives distinctes : une Fédération croato-musulmane d’une part, et une république serbe de l’autre. Sarajevo reste la capitale indivisible de l’État bosniaque. La délimitation des deux entités reprend à peu près la ligne de front.

Cependant certaines régions ont dû changer d’autorité : dans l’ouest de la Bosnie, la région de Jajce, au sud de Banja Luka, conquise en octobre 1995 par les forces croates, est repassée sous contrôle serbe; par contre, les quartiers ouest de Sarajevo, dont l’aéroport, actuellement aux mains des Serbes, sont passés sous autorité croato-musulmane.
D’autre part, certaines régions restent enclavées dans les territoires de l’autre entité : ainsi la ville de Gorazde, au milieu d’une région serbe sera reliée à Sarajevo par un corridor routier traversant la montagne. L’entité serbe est quant à elle, coupée en deux, et devra être unie par un corridor large de cinq kilomètres, au nord de la Bosnie. Ceci a pour effet d’enclaver la ville croate de Brcko dans les territoires attribués aux Serbes ; son statut sera soumis à un règlement international.
Demeure également dans l’ombre l’accès des Serbes à la mer, au niveau de la péninsule de Prevlaka. Au total, la fédération croato-musulmane contrôle 51% de la Bosnie, les Serbes en reçoivent le reste.

En dehors de la Bosnie, demeurait un litige sur le territoire de la République Croate. Le cas de la Slavonie orientale, avec la ville de Vukovar, avait déjà été réglé le 12 novembre dernier, par un accord entre Serbes et Croates. La région, occupée par les Serbes depuis quatre ans, retournera à la Croatie, après un an de mise sous tutelle de l’ONU.

D’un point de vue constitutionnel, la Bosnie aura un gouvernement fédéral, une banque centrale, une monnaie et une police uniques. Elle sera dotée d’un Parlement et d’un Président, qui seront choisis lors des élections libres qui auront lieu à l’automne prochain, sous supervision internationale. Il est important de signaler que les personnes reconnues criminels de guerre se verront interdire toute vie politique.
La communauté internationale a décidé le déploiement sur le terrain d’une force militaire de 60000 hommes, sous commandement de l’OTAN, en remplacement de la FORPRONU, pour faire appliquer le traité. Nommée « Implantation Force » (IFOR), et opérationnelle depuis la mi-février, cette force a pour but de faire respecter le cessez-le-feu et de contrôler les zones frontières entre les deux entités bosniaques. Contrairement à la FORPRONU, l’IFOR aura le droit et les moyens de se défendre.
Quels enseignements tirer du Traité de paix ? Ne soyons pas sceptiques dès le départ : la paix existe, au moins entre les gouvernements bosniaque, croate et serbe. Cependant, le Traité s’il semble résoudre les problèmes, en met d’autres en avant. Est-ce qu’un État bosniaque vivra ? Comment feront les deux entités, croato-musulmane et serbe, pour collaborer ensemble après s’être entretuées pendant des années ? La division en deux entités n’est-elle pas la possibilité pour les uns et les autres de déclarer en toute légalité leur droit à l’autodétermination et à l’indépendance ? N’est-il pas précisé dans une annexe du Traité que chacun se réserve le droit de développer des relations parallèles avec ses voisins ?

D’autre part, la Fédération croato-musulmane est-elle elle-même viable ? Est-il possible de réunifier Mostar ? Croates et Musulmans peuvent-ils y vivre encore ensemble, après les atrocités commises de part et d’autre ? Un début de réponse est rapidement apparu à cette question : dès le mois de janvier, des incidents y ont éclaté entre Croates et Musulmans, et Bill Clinton a conclu un accord avec Franjo Tudjman sur un arbitrage américain pour régler le sort de la capitale de l’Herzégovine.

Il apparaît essentiellement à travers ce Traité que la situation établie par les armes a été entérinée. Les nationalismes ont gagné : en Bosnie, chacun doit vivre désormais chez soi, et les échanges de territoires entre les deux parties ont donné lieu à de nouveaux déplacements de population. Tant pis pour la ville de Tuzla, qui est toujours gérée par une municipalité formée aussi bien de Musulmans que de Serbes. Les fastes de l’Élysée pour l’enterrement de première classe d’une Bosnie pluriethnique et multiculturelle! Mais, à part Tuzla, a-t-on encore envie de vivre ensemble en Bosnie ? Un nouveau mot est actuellement très à la mode dans les Balkans : « Yougonostalgie ». Emir Kusturica n’aurait pas fait mieux…
Le Traité de Dayton-Paris nous laisse ainsi devant une foule d’incertitudes. Il reste à poser la question primordiale que tout le monde se pose : la paix en Bosnie est-elle durable ? Personne ne peut se permettre d’y répondre : seul l’avenir nous dira si le Traité de paix n’était pas une lettre morte. Mais il n’y a aucune raison à cela : des contrats en passe d’être engagés par les entreprises occidentales (Alcatel, Siemens, Bouygues, Renault ou encore Shell n’ont pas attendu la fin de la guerre pour aller se promener du côté de Belgrade !), pour la reconstruction économique de l’ancienne Yougoslavie, sont peut-être maintenant des raisons suffisantes pour que l’Europe prenne enfin ses responsabilités. Et si en Bosnie, chacun vit bien tranquillement chez lui, sans côtoyer son voisin, rien de bien grave ne pourra plus arriver !

Didier SCHEIN