Catherine
Gheselle

Novembre 1997

e cinéma d’animation a pour vocation de jouer au magicien avec le réel. Il s’en empare pour mieux le déformer, pour en donner à voir une interprétation différente. Nous ne ferons pas ici une rétrospective du cinéma d’animation, pour cela il vous suffira de consulter un récent numéro de la revue « Tausend Augen », mais nous recentrerons notre étude sur l’œuvre d’un grand artiste tchèque.

Jan Svankmajer est né en 1934 à Prague. Élève de l’académie des Beaux-Arts, il est passé maître dans l’art des collages et des gravures. L’artiste participe aux activités du groupe des surréalistes de Prague et expérimente les objets tactiles. Depuis le milieu des années 60, Svankmajer travaille sur le court-métrage. Utilisant des objets ou des personnages, il use de son sens critique et ironique pour se rire de la société. Un style qui dépasse largement celui communément adopté dans ce genre. Il est aujourd’hui considéré comme un des maîtres de l’animation. « Créer, c’est résister » répondait le philosophe Gilles Deleuze à la question concernant l’utilité de l’art. L’art cinématographique est un instrument de résistance entre les mains de Jan Svankmajer. L’engagement politique de ses films lui a valu une censure importante pendant la période communiste.
Svankmajer utilise des personnages de chair et d’os qu’il mixe à de la pâte modeler pour nous donner l’illusion de déformations corporelles, dénonçant ainsi les pressions que subit l’être humain. Il s’agit souvent d’enfermement, de morcellement du corps. À l’inverse, ses personnages de pâte à modeler sont couplés à de réelles cervelles de boucherie, à des yeux de verre, à des langues de bœuf rendant compte ainsi de leur animalité. Comme chez Renoir, l’être n’est ni bon ni méchant, plutôt mi-ange mi-démon. Les objets prennent vie et soulignent l’absurdité de notre monde. Ainsi cette cuiller percée qui ne permet pas à la bouche de se rassasier de la soupe et de ces deux steacks, qui entament une parade amoureuse avant de finir dans la poêle à frire. Les fonctions des objets usuels sont détournée illustrant un surréalisme cher aux pays slaves et qui malheureusement, fait de plus en plus défaut dans nos sociétés capitalistes.
Le fantastique est forcément un de ses domaines de prédilections, flirtant parfois avec le gore dans l’utilisation d’un montage coup de poing qui agresse la sensiblerie du spectateur. Les tensions sont à leurs combles car il se joue de nos propres frayeurs comme dans « Down to the cellar » où une petite fille descend à la cave pour y chercher des pommes de terre. Un monde surnaturel se met en place devant ses yeux, fruit de l’imagination enfantine. Nourri par les contes, et tout comme le conte, le cinéma de Jan Svankmajer met l’être humain en présence des difficultés fondamentales de l’existence, comme le vieillissement, la mort ou l’enfermement, sous une forme symbolique qui les rend supportables.

Catherine GHESELLE


La première filmographie complète de l’artiste.

1960 : « Numbers »
Étude sur les relations entre les hommes et les chiffres.
1964 : « The last trick »
Deux magiciens tentent de se déjouer l’un l’autre.
1965 : « Fantasia in G minor »
La musique de Bach est donnée en contrepoint agressif des détritus de notre civilisation.
1966 : « Et cetera »
Trois parties illustrant les aspirations de l’être humain.
1966 : « Punch and Judy »
L’histoire est basée sur un show de marinettes qui s’associent dans la mort.
1967 : « Historia naturae »
Le film suggère la destruction de la nature par l’homme.
1968 : « The flat »
Vision surréaliste du pouvoir des objets se révoltant contre le pouvoir d’un homme. Une vue de la dépendance humaine envers les objets quotidiens.
1968 : « The garden »
Un homme revient au bout de vingt ans d’absence chez un viel ami dont le jardin est entouré par une clôture humaine.
1968 : « Picknick mit Weisman »
Un vieux phonographe rythme la chute de sfeuilles mortes et une partie d’échecs dans un salon à ciel ouvert alors qu’un humain est enfermé dans une armoire.
1969 : « A quiet week »
Un homme visite pendant sept jours une maison bandonnée où se passent d’étranges choses. La création du monde revisitée.
1970 : « Don Sanche »
Maria et Philip s’aiment mais le père de celle-ci l’a promise à Don Sanche.
1970 : « The ossuary »
Méditation sur la mort et le pouvoir transcendant de l’art à travers une balade dans l’ossuaire deSedlec en Bohême.
1971 : « Jabberwocky »
Tandis qu’une jeune fille lit Lewis Caroll, une garde-Robe s’ouvre sur des mondes étranges.
1972 : « Leonardo’s diary »
De Vinci rencontre le surréalisme.
1979 : « The castle of Otranto »
Essai sur un roman de Horace Walpole, initiateur du roman noir en 1764.
1982 : « Dimensions of dialogue »
Quelles sont les possibilités du dialogue qui nous sont offertes ? Des visages semi-plastique l’illustrent de trois façons.
1983 : « Down to the cellar »
Une petite fille doit vaincre sa peur en allant à la cave.
1983 : « La chute »
de la maison Usher
L’œuvre de Poe revisitée par Svankmajer.
1983 : « Pendulum, the pit and hope »
Des marionnettes animales illustrent l’histoire de « Pitt and the Pendulum » par Edgar A. Poe et « Hope » par Villiers de l’Isle-Adam.
1988 : « Alice »
Représentation d’Alice au pays des merveilles.
1988 : « Le jeu viril »
Une équipe championne de foot illustre métaphoriquement la violence de notre société.
1989 : « Flora »
Produit par MTV. Le thème écologique se base sur la figure d’une femme composée de fruits et de légumes qui tente en vain d’attraper un verre d’eau tandis que son corps change.
1989 : « Darkness light darkness »
Un homme se crée lui même avec des parties de corps.
1990 : « The death of stalinism
Comme son nom l’indique. Représentation personnelle de l’histoire récente de la Tchécoslovaquie.
1992 : « Food »
Triptyque retraçant la relation de l’homme à la nourriture à travers une analyse politique du libéralisme économique.
1994 : « Faust »
Coproduit par le CNC. Le conte de Faust est retranscrit dans le Prague moderne. Un homme, plan de ville en mains, se dirige vers une maison et y découvre un théâtre désert. Il revêt le costume et se maquille en Faust.


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