oici un numéro de LUn [EST lAutre qui ne sintéresse pas à un pays, ni à un thème, mais à un écrivain roumain : Ion Luca Caragiale. Un numéro littéraire donc, dans lequel vous trouverez de nombreuses traductions duvres de cet auteur.
Pourquoi ce choix de présenter un écrivain du passé lorsquon prétend faire une revue ancrée dans lactualité daprès 1989, dautant plus quon sait que luvre de Caragiale est surtout un regard porté sur ses contemporains ?
La réponse est simple. Caragiale, auteur maudit de son vivant, est maintenant, aux côtés dEminescu, de Creanga et de quelques autres, un grand classique
de la littérature roumaine, que lon étudie à lécole, que lon lit et relit, commente et recommente, joue et rejoue au théâtre du moins en Roumanie, car en France il est de nos plus grands illustres inconnus. Et pour nous il est de plus en plus dactualité, car la Roumanie daprès 89 ressemble étrangement à celle dil y a cent ans : une société en (re)construction avec ses espoirs et ses désillusions, ses grands élans et ses misérables bassesses, ses nouveaux bourgeois et ses nouveaux pauvres, sa classe politique arriviste et ses journalistes violemment arrogants.
Il nous paraît aussi important que lancien ou futur voyageur du côté des Carpates aie lui aussi la possibilité de se laisser infiltrer par lesprit caragialesque, qui nest rien dautre que la transposition littéraire dun comportement populaire roumain, mais aussi balkanique luvre de Caragiale se passant essentiellement en Valachie, la partie de la Roumanie la plus proche des Balkans , ainsi que dune façon
de sexprimer qui na pas changé ; en effet, le voyageur occidental qui se retrouve au milieu dune conversation balkanique est souvent désorienté devant labsence de Descartes dans les raisonnements de ses interlocuteurs : parfois vraiment, là-bas, « la pensée se fait dans la bouche ». Il nous semble souvent que des propos entendus aujourdhui proviendraient des brasseries du début du siècle, dans lesquelles Caragiale situait nombre de ses moments satiriques. Car si son uvre est directement liée à lactualité de son temps, le Roumain, lui, demeure toujours, contre vents et marées, le même bavard infernal, le même joyeux ou insuportable blagueur.
Cest pour avoir su toucher et transcrire avec art lesprit éternel de son peuple que Caragiale est aujourdhui immortel.
Ce numéro de LUn [EST] lAutre est comme tous les autres une invitation au voyage, mais un voyage aussi bien dans le passé que dans lactualité.
Car si lon veut comprendre quelque chose à la Roumanie de toujours,
la lecture de Caragiale est incontournable. Bon voyage !
Didier SCHEIN

