ogdan Stefan fait partie des membres fondateurs de la revue LUn [EST] lAutre. Venu de Iasi en Roumanie, à Lille pour suivre ses études de sciences économiques et de cinéma, cest là que nous lavons rencontré en 1993. Il est reparti en Roumanie en 1995 pour passer son diplôme, mais nous navons pas perdu le contact.
À Iasi, il sinvestit notamment dans le projet « Génération du deuxième siècle », destiné à former une nouvelle génération de spectateurs de cinéma et qui reçoit un grand appui de la part du Centre culturel français. Pour loccasion, il écrit et réalise un court métrage interprété par onze étudiants-comédiens de lacadémie locale des arts et théâtre.
Nous lui avons demandé de nous parler un peu de sa vie et de la vie aujourdhui en Roumanie.
Depuis lenvoi de notre questionnaire en janvier 98, il sest installé à Bucarest où il travaille dans une agence de publicité.
Réalisée par écrit en Français, cette entrevue conserve la prose de notre ami. Elle est le premier volet dune série darticles où nous essaierons de connaître le point de vue détrangers ayant vécu en France.
L&L : Peux-tu nous raconter ton arrivée en France ? Cela a-t-il été difficile dobtenir une bourse, un logement ou tout simplement une inscription en fac ?
Bogdan Stefan : Je suis arrivé en voyageant par car et par train en suivant le trajet Iasi - Bucarest Stuttgart Strasbourg Lille. Le voyage a été fatigant (imagine alors le déménagement que jai dû supporter, une quantité formidable de bagages). Mais tous les six (moi et cinq filles) nous avons été impressionnés par la qualité de laccueil : chaleureux et efficace (logement immédiat, une première tranche dargent, accueil par lasso des étudiants, etc).
Concernant lobtention de la bourse, jai dû passer plusieurs étapes : un concours de langue française, un dossier à constituer (avec différentes pièces : recommandations, lettre de motivation, résultats aux examens
), une interview avec le responsable roumain de Tempus et une autre avec une commission franco-roumaine.
L&L : Avais-tu déjà eu loccasion de connaître une autre ville que Lille auparavant ?
B. S. : En 1991, avant dêtre admis à luniversité, jai participé à un voyage organisé par le collège où jétudiais. Le voyage a duré deux semaines et sest déroulé en majorité à Paris et à Dreux (80 km au NO de Paris) où nous étions logés chez des familles. Jai eu la chance de connaître des gens formidables qui constituent depuis un modèle de famille française.
L&L : Pourquoi avoir choisi Lille pour y faire tes études ?
B. S. : Parce que jai appris quil y avait une université de qualité ici.
L&L : Que connaissais-tu de ce pays avant dy mettre les pieds pour la première fois ? Quelles images en avais-tu ?
B. S. : Cest une question très générale. Limage de la France était celle dun pays situé dans lOuest de lEurope, riche et qui prend soin de son peuple. À cela sajoutait tout le bagage culturel quon avait accumulé par tous les moyens dinformation : parents, école (jai eu la chance davoir une prof exceptionnelle), cinéma, livres, TV, chansons, etc. La France était un paradis culturel, Paris, la ville lumière, etc. Des clichés aussi ; les français étaient un peuple très cultivé vu le nombre dartistes et de gens de culture quils ont produits, etc.
L&L : Cela représentait-il quelque chose pour toi de venir dans ce pays ?
B. S. : La première fois en France, cétait aussi la première fois à lextérieur de la Roumanie. Il sagissait dune découverte, dune véritable expédition, limitée en temps et espace, en nombre de gens connus. La deuxième fois jétais préparé à une découverte plus en profondeur et prolongée.
L&L : Il nest pas toujours connu des Français eux-mêmes que leur pays jouit à lextérieur dune renommée culturelle dont ils ne sont malheureusement pas de fidèles représentants. Existe-t-il une réelle distance entre limage que la France dispense à létranger, par lintermédiaire de ses médias et de ses centres culturels, et la réalité que tu as connue ?
B. S. : Pas vraiment. Plutôt entre les clichés qui circulent parmi ceux qui nont pas connu la France et les Français pour de vrai. Les centres culturels (surtout celui de Iasi que je connais le mieux) font un très bon boulot, mais la France présente plusieurs aspects quon peut connaître que sur place. Mais il est vrai que plusieurs Français venus en Roumanie ont été étonnés par limage de la France plus culturelle quils ne la perçoivent.
L&L : En arrivant en France as-tu eu limpression darriver dans le pays que tu imaginais ?. Quelles ont été tes joies ou tes surprises ?
B. S. : Oui, cétait le pays que jimaginais. Le bon accueil quon nous avait réservé, la rapidité des formalités de logement, etc. Pour les mauvaises surprises je compte le premier contact avec la bureaucratie administrative française (carte de séjour, etc). Cétait le début de lépoque Pasqua
L&L : Parlais-tu français et as-tu eu de la peine à te faire comprendre ?
B. S. : Mon vocabulaire et la prononciation étaient assez avancés pour me faire comprendre. Sur place, tu apprends beaucoup plus vite et en deux-trois mois on avait appris beaucoup de français « parlé », beaucoup dexpressions utilisées dans le langage quotidien. Après six mois, jétais capable de distinguer plusieurs accents et aussi des manières de parler spécifiques aux étudiants, gens du Nord, Parisiens, etc.
L&L : Les Français sont-il accueillants et sympathiques ?
B. S. : On ne peut pas mettre tous les Français dans le même pot. Si une majorité est égocentriste, jai connu beaucoup de généreux. Sil y a un trait de caractère qui caractérise la plupart, je crois que cest lesprit daventure. Jai connu énormément de gens (cest vrai quils étaient tous jeunes) qui étaient toujours prêts à recommencer à zéro.
L&L : Quel a été ton cheminement en France ?
B. S. : Lille : études de cinéma, sciences-éco pour deux années, Paris : un mois de stage à la Fondation Gan pour le Cinéma.
L&L : As-tu rencontré des difficultés particulières ? Lesquelles ?
B. S. : La plus grande difficulté que je me rappelle aujourdhui est celle dordre administratif. La préfecture, la sécurité sociale, lURSSAF, les caisses dallocations familiales étaient des institutions de torture pour moi et les étrangers que je connaissais.
L&L : Quel jugement portes-tu sur limage qui est donnée de la Roumanie en France ?
B. S. : Question compliquée. Image, la plupart du temps simpliste et amenant en premier plan des coups de presse, des coups médiatiques.
L&L : Tu es passionné par le cinéma, comment test venu cet intérêt ?
B. S. : En regardant énormément de films et en passant, progressivement, détape en étape : regarder, essayer de percevoir et puis de comprendre ce quil y a derrière les images, retenir les noms des metteurs en scène et des acteurs quon aime et puis chercher à voir leurs autres créations, etc.
L&L : A-t-il été toujours facile de voir beaucoup de films en Roumanie ? Quelle est la place du cinéma dans la vie culturelle roumaine ?
B. S. : Avant 89 les salles de cinéma passaient que des reprises, cinéma américain des années 60-70, français des années 70-80 et roumains (les seules premières). Je voyais beaucoup de bons films sur les chaînes russes Moscou 1 et Moscou 2 (après 80 chez eux il y avait un dégel progressif). Après 89, les télévisions et les cinémas ont apporté du nouveau mais le paysage cinématographique roumain est aride à côté de celui français, par exemple.
L&L : Quelle sorte de films voit-on aujourdhui en Roumanie ?
B. S. : Des films américains (proportion de 90 %). La cinémathèque de Bucarest est la seule source de diversion.
L&L : Quelle est ton activité actuelle ?
B. S. : Je travaille actuellement dans une agence de pub de Bucarest en tant que copy-writer (je crée des scénarios pour des spots publicitaires, TV ou radio, des slogans, des noms de marque, etc). Jhabite Bucarest et jai un salaire décent.
L&L : Cela ne te pose-t-il pas de problème dêtre éloigné des endroits où se font le cinéma européen ou mondial ?
B. S. : Oui. La France et ses cinémas me manquent énormément.
L&L : Existe-t-il une activité cinématographique conséquente en Roumanie ?
B. S. : Les dernières trois ou quatre années ont été désastreuses pour le cinéma roumain. Trois ou quatre films par an (au mieux), baisse considérable de la fréquentation, misère matérielle et morale, un climat désagréable entretenu par limbécillité des disputes entre les vieux créateurs autour des trois sous pour la production provenant de lÉtat, etc. Cette année, avec larrivée de Radu Gebrea (un metteur en scène qui a vécu beaucoup de temps en Allemagne) à la tête de lONC (léquivalent roumain du CNC), les choses semblent prendre une autre direction. Enfin, la Roumanie adhère à lEuroimages (fonds de co-production européen), il y a eu un concours pour les scénarios, le nombre de producteurs sest multiplié et une nouvelle génération de cinéastes a émergé. On espère
L&L : Tu es retourné à Iasi pour poursuivre tes études. Était-ce une suite normale ou as-tu été contraint par des difficultés particulières ?
B. S. : Cétait la suite normale. Je devais finir mes études économiques, ce que jai fait en juin 97 avec une licence en marketing.
L&L : Ton séjour en France ta-il été profitable sur le plan universitaire ?
B. S. : Oui, jai surtout apprécié la possibilité de mêler les études (cinéma et économie).
L&L : Et sur le plan personnel ? As-tu quitté ce pays avec regret ?
B. S. : Le regret était toujours sur le plan culturel. Je crois quil y a très peu de places sur Terre où on peut se sentir aussi accompli et satisfait dun point de vue culturel quà Lille ou Paris (Paris avec un point en moins à cause du stress de lagglomération).
L&L : En France les mauvaises langues disent que les étrangers viennent pour profiter de nos avantages sociaux, et notamment de la sécurité sociale. Tu as quant à toi choisi de te faire opérer du pied en Roumanie. Quelles étaient tes motivations ?
B. S. : Lopération sest faite à un hôpital de Ias¸i, dans une clinique de chirurgie orthopédique. Javais besoin premièrement dun médecin auquel je puisse faire confiance. Les centres orthopédiques que javais visités en France étaient très bien équipés mais, malheureusement, je nai pas trouvé un médecin à qui je puisse faire confiance pour lensemble du traitement (puisquil y avait plusieurs affections). En plus toute la paperasse avec la Sécurité Sociale me rendait fou.
L&L : Nous gardons en France limage dune médecine roumaine sinistrée. Cela est-il vrai ?
B. S. : Je suis resté pendant deux mois à lhôpital et jai pu voir les conditions terribles dans lesquelles travaillent les médecins roumains. La plupart dentre eux ont énormément travaillé et appris pour arriver à ce niveau de connaissances et dexpérience. La plupart travaille avec du matériel qui date des années 70 et ils sont payés misérablement. Seuls les hôpitaux ou les cliniques qui ont bénéficié dune collaboration avec un hôpital ou une association occidentale ont pu renouveler leur base technique. Avec la nouvelle loi de lassurance médicale on espère que tout rentrera dans le normal.
L&L : Tu tes marié en septembre avec Corina. Celle-ci tavait rejoint une année en France pour ses études. Quelle difficulté un jeune couple roumain rencontre-t-il dans son installation ?
B. S. : La plupart des couples se cognent à limpossibilité de vivre dans un chez-nous. Il arrive donc que les couples mariés habitent avec les parents une longue période de temps jusquà ce quils réussissent à amasser la somme nécessaire pour acheter un appartement. À Iasi, un appartement deux pièces coûte environ 30 à 40 millions de lei (5000 $), à Bucarest cela monte jusquà 90 à 100 millions de lei (plus de 10 000 $). Le salaire moyen pour un jeune est denviron 200 à 250 $.
L&L : Quel est le statut du mariage en Roumanie, comparé à la France où il jouit de moins en moins de valeur ?
B. S. : Par rapport à la France, oui. Il y a beaucoup de mariages mais le taux de divorces a augmenté beaucoup après 89.
L&L : On parle beaucoup de lintégration de la Roumanie et dautres pays à lEurope communautaire. Les roumains se sentent-ils exclus de lEurope, existe-il un grand débat sur le sujet ?
B. S. : Beaucoup dencre a coulé sur ce sujet. Lintégration à lOTAN et à lUnion Européenne a de nouveau rallumé le feu. Oui, il y a beaucoup de roumains honnêtes qui se sentent frustrés vis-à-vis de la politique des visas pour les pays occidentaux. Il y a une longue série dévénements (de Yalta au traité de Madrid de 1997) qui ont rendu pessimistes une grande partie des roumains. Oui, ils se sentent exclus.
L&L : Penses-tu être bien informé sur ce qui se passe dans le monde ? Quelles sont tes sources dinformation ?
B. S. : À part la télévision nationale, il y a 5 ou 6 autres chaînes qui présentent lactualité de façon diverse. La presse est reconnue comme auteur moral du changement de pouvoir en novembre 96 et lInternet ouvre les portes qui sont restées fermées jusquà présent.
L&L : Surfes-tu sur Internet ? Quel intérêt y trouves-tu ?
B. S. : Malheureusement, laccès à Internet nest possible que pour les étudiants. Quand jétais étudiant je surfais beaucoup (sur les sites cinéma, bien sûr) mais à Bucarest il est difficile de trouver un réseau bien accessible (surtout au niveau financier).
L&L : Quelle est la politique du gouvernement roumain dans ce domaine ?
B. S. : Jusquà maintenant cela reste une affaire privée.
L&L : Les Roumains font-il preuve dintérêt pour lactualité mondiale ?
B. S. : Oui, dans la mesure dans laquelle leurs difficultés quotidiennes leur laissent le temps.
L&L : Il y a neuf ans, la Roumanie faisait sa révolution. Quel âge avais-tu et quel était ton environnement à lépoque ?
B. S. : Javais dix-sept ans. Jétais élève au lycée. En famille et à lécole on sentait le vent des grands changements et on ne pensait pas que cela puisse nous toucher. Le communisme nous semblait tellement bien ancré
L&L : Peux-tu nous décrire de quelle manière tu as appris la chose ?
B. S. : Un coup de téléphone dun ami ma fait allumer la télé. Cétait vendredi 22 décembre 89, vers 11 heures, tout de suite après la fuite de Ceausescu.
L&L : Quas-tu ressenti à ce moment ? Cela ta-t-il donné limpression que les choses allaient changer ?
B. S. : Je pouvais pas croire mes yeux. Pour la première fois je voyais des gens sexprimer librement à la télé, je voyais des manifestations, etc.
Oui, on espérait que cela allait changer tout, quon allait devenir un pays moderne où il fait bon vivre.
L&L : Les Roumains dans leur ensemble évoquent-ils aussi facilement que toi cette époque (et celle davant) ?
B. S. : Il ny a pas, à part les gens qui ont souffert (des parents morts ou blessés) une grande difficulté à parler de décembre 89. Les gens simples cependant ne peuvent pas sempêcher dexprimer une nostalgie envers la vie quils menaient à lépoque.
L&L : Que ressent un Roumain quand on lui pose ce genre de questions ?
B. S. : Les réactions sont très diverses. Cela dépend de comment ils ont vécu leur vie pendant le communisme.
L&L : Huit ans plus tard, as-tu limpression que les choses ont changé dans le bon sens, sachant quil est difficile de dire que cela puisse être pire ?
B. S. : Si, cela aurait pu être pire (guerre civile comme en Yougoslavie). Mais si juste après 89 il y avait eu quelquun dautre que Iliescu et sa bande de communistes pour remplir le vide du pouvoir, peut-être on se trouverait dans une autre situation aujourdhui.
L&L : Que pensent les Roumains de lélan de solidarité qui a suivi les événements ?
B. S. : Formidable, jusquà ce quils commencent à se méfier.
L&L : Comment les Roumains jugent-ils les actions de solidarité qui ont encore lieu actuellement ?
B. S. : Encore une fois il est difficile de juger en ensemble. On pourrait dire que si laction humanitaire a un but ponctuel et quon réussit à atteindre, alors des traces restent et la connaissance aussi.
L&L : On pourrait penser que laide humanitaire permet aux Roumains de se désintéresser, de refuser dassumer des problèmes qui les concernent directement. Est-ce juste ?
B. S. : Non, je ne crois pas.
L&L : Le paysage urbain, notamment, a subi de véritables transformations, avec louverture de nouveaux commerces et lapparition denseignes souvent tapageuses. Les Roumains ont-ils conscience de lenlaidissement de leurs villes ?
B. S. : Oui, ceux qui ont une conscience esthétique.
L&L : Sous la dictature, les Roumains étaient méfiants les uns envers les autres. Les relations entre individus ont-elles subi une évolution radicale ?
B. S. : Pas beaucoup. On peut parler aujourdhui de nimporte quoi à nimporte qui. Mais la méfiance et lintérêt personnel sont les constantes dune mentalité déconomie de jungle.
L&L : Toi même aujourdhui, à Iasi, privilégies-tu les relations familliales ou as-tu lopportunité de te faire des relations, dans quels milieux ?
B. S. : Les deux. Des relations surtout dans le milieu artistique.
L&L : Quelle est la place de la culture en Roumanie ?
B. S. : La place que les ressources économiques peuvent réserver à un domaine tellement pauvre (du point de vue matériel). La santé et lenseignement public ont très peu dallocations budgétaires, alors la culture
Ceux qui gouvernent le pays ont tellement de choix à faire quils ne peuvent pas se rendre compte de lénorme avantage quon peut tirer dune culture puissante diversifiée et ouverte à tout ce quil y a de nouveau.
Bucarest est le centre de la vie culturelle. Par rapport à la France ou à lAllemagne où la culture sest ouverte vers les petites villes de province et sest décentralisée, ici le mouvement est contraire. À part les centres culturels étrangers (français, allemands, britanniques) qui ressuscitent la vie culturelle des villes universitaires (Iasi, Cluj, Timisoara), le reste est silence
L&L : Existe-t-il une vie culturelle dense dans cette ville ? Y participes-tu ?
B. S. : Quatre cinémas, deux théâtres, un opéra, un ballet, une philharmonique, une maison de culture pour les jeunes
Les prémisses dune vie culturelle existent, ce quil manque, cest linitiative et largent. Oui, jy participais au maximum.
L&L : Sennuie-t-on en Roumanie ?
B. S. : Vraiment pas. Cinéma, lectures, rencontres avec les amis, cafés, bars (plus ici à Bucarest), il ny a pas vraiment le temps de sennuyer.
L&L : Depuis ces dernières années, a-t-on vu souvrir des clubs de loisirs, de sports
De quelle sortes ? Sont-ils fréquentés ?
B. S. : Auparavant, il nexistait que des clubs dentreprises ou des institutions dÉtat. Aujourdhui linitiative est passée, normalement, dans le terrain privé. Des clubs et des associations sont fréquentés au niveau de leur préoccupation et leurs objectifs.
L&L : Les associations ne sont pas aussi nombreuses quen France et les cafés ny jouent pas le même rôle de lieu de rencontre. Où se trouvent dans la société roumaine les points de convergences doù les Roumains seraient tentés de se lancer dans de grandes entreprises collectives, notamment culturelles ?
B. S. : Je crains que ces points de convergence nexistent pas encore. Le travail en équipe est très peu prisé par les Roumains. Cela est un grand problème car de nombreux projets ambitieux échouent à cause de lindividualisme et orgueil des participants.
L&L : La société roumaine était très familliale. Lest-elle toujours ? Assiste-t-on à lémergence dune société individualiste ?
B. S. : Les familles étaient autrefois un liant très fort. Aujourdhui, avec tous les problèmes matériels (surtout à la campagne ou le communisme a réussi à détruire le remarquable bon sens des paysans), bon nombre de familles sont en déroute.
L&L : Aujourdhui, quels sont les principaux problèmes quaffronte la société roumaine ?
B. S. : Je dirais que le principal problème est le manque de repères moraux. Le procès du communisme na pas eu lieu, les gens voient dans la vie de tous les jours que ceux qui volent et arnaquent, ceux qui autrefois mentaient et torturaient ont des voitures et des maisons fabuleuses et ils ne peuvent plus distinguer le bien du mal. La reconstruction de la société occidentale sest basée, en grande partie sur le procès du nazisme. Le communisme a été une maladie parfois plus dangereuse qui, par son étendue temporelle, a réussi à pénétrer dans le sousconscient des gens. À partir dici, tout ce qui a été construit après 89 a été construit sur une mauvaise fondation.
L&L : Et les jeunes ?
B. S. : Cest le même problème pour eux. Aveuglés par les opportunités matérielles que certains de leurs parents peuvent leur offrir, ils se sont jetés dans un consomatorisme absurde. La première génération de la télévision (surtout Pro TV) veut atteindre un standard de vie occidentale sans rien construire de durable. Cela est aussi le problème de leurs parents. Dici divers dérapages : drogue, etc.
L&L : Quelles difficultés penses-tu devoir affronter dans les années à venir ?
B. S. : Après 96 on espérait que le changement va se produire à tous les niveaux de la société, dans léconomie,etc. Malheureusement, une poignée de gens bien intentionnés mais soumis à des contraintes et compromis, ne peuvent pas remplacer tout un peuple qui, dès 30-35 ans est malade. Si un revirement moral ne se produit pas, succédé par un économique, je vois très peu de chances pour la Roumanie des années suivantes. D'ailleurs, les gouvernements ont reconnu : si la Roumanie ne prend le train de lintégration 2000 (avec tous les enjeux économiques, politiques et sociaux que cela comporte), la prochaine chance sera dans dix-quinze ans.
L&L : Quelle est la place de la culture française en Roumanie ?
B. S. : Assez forte quoique bien menacée par linvasion américaine. Avec des programmes culturels réguliers et diversifiés mis en place par un réseau de centres culturels actifs et dynamiques, la culture française a de bonnes chances pour lavenir.
L&L : Quelle est celle des investissements économiques ?
B. S. : Alcatel est la société la mieux implantée dans le décor économique. Avec une participation à MobilRom (un des deux opérateurs sur le marché de la téléphonie GSM). Je crains que les français ne soient que à peine dans les dix premiers pays
en tant que présence dinvestissement économique.
L&L : Que penses-tu de la francophonie dont la Roumanie est adhérente ?
B. S. : À part les programmes promovés par les centres culturels français, la francophonie est plus un dicton politique quune réalité perceptible au niveau de la vie courante des gens. Deux chaînes câblées (TV5 et M6) et un poste de radio qui contient des programmes français, cela est très peu à côté de linvasion anglo-saxonne.
L&L : Fréquentes-tu le centre culturel français de Iasi et quelles sont ses activités ?
B. S. : Par la nature de ma collaboration avec le centre de Iasi, oui, jy étais quo-tidiennement. En ce qui concerne lInstitut Français de Bucarest, le programme sachève à six heures du soir, ce qui coïncide avec mon programme de travail. Sinon, je suis dans leurs activités (cinéma, jazz, fête de la musique, etc.) et jy vais quand je peux. À Iasi ils avaient lancé plusieurs festivals : en automne ; Eurodance, en mai ; le Festival Don Juan, en juin (biennal) le festival des films sur lart, etc. Ils ont une équipe formidable et enthousiaste et ils ont réussi à impliquer certains partenaires de Iasi et de France. Sans eux, je naurais pas pu lancer mon opération de formation dune nouvelle génération de spectateurs de cinéma (La Génération du deuxième siècle).
L&L : Aimerais-tu revenir en France ? Pourquoi ?
B. S. : Oui, pour des projets ponctuels et pour revoir des amis.
L&L : Quels sont tes projets davenir ?
B. S. : Travailler dans le domaine audio-visuel, dans le cinéma plus spécialement.
Propos recueillis
par léquipe de LUn [EST] lAutre