près la décomposition du système communiste en Europe centrale et orientale, les questions du nationalisme, du néonazisme et de lantisémitisme deviennent toujours plus actuelles. Lespace de lancienne Union Soviétique ne fait pas exception dans ce domaine. Dans la république de Moldavie(1), État formé en 1991 en même temps que la dissolution de lUnion Soviétique, les frontières retaillées de façon artificielles et un pourcentage considérable de minorités nationales conjugué avec la crise économique ont conduit à lapparition dune multitude de conflits à caractère ethnico-territorial, autant que laction desprits nationalistes et antisémites. Cest à ces questions qua été consacrée la « table ronde » conduite le 9 novembre par lOrganisation de la Jeunesse de lAssemblée Citoyenne Helsinki de Moldavie (OTACH) Pour apprendre des détails sur les problèmes abordés à cette table ronde, je me suis adressée au président de lOTACH, Natalia Sineaeva.
Iulia Trombitcaia : Comme on le sait, la journée du 9 novembre est marquée dans lEurope entière. Quel en est le motif ?
N.S. Cette journée est liée aux événements tragiques de 1938, qui ont eu lieu dans lAllemagne nazie. Dans la nuit du 8 au 9 novembre, les nationaux-socialistes ont déclenché les premiers pogroms contre lesjuifs qui ont emporté des miliers de vie humaines, entamant le début du génocide contre beaucoup de peuples et qui sont demeurés dans lHistoire sous la dénomination de « Nuit de Cristal ». Il ya 10 ans, cette journée a été déclarée par lorganisation internationale UNITED, journée de lutte contre le fascisme et lantisémitisme, et elle est marquée annuellement. Notre organisation nest pas demeurée indifférente cest déjà la deuxième année que nous déployons des activités consacrées à cet événement. À nos tables rondes se rencontrent des représentants des communautés ethniques, des structures du pouvoir, des organisations non-gouvernementales, des journalistes, pour discuter des questions les plus aiguës qui les tourmentent dans ce domaine et pour convenir des voies menant à des solutions. À la table ronde de lannée passée a été adoptée une résolution ayant pour un des points de base, par exemple, la necessité deffectuer le monitoring mass-média et létude de lopinion publique sur ces questions.
I. T. : À quel point cependant les problèmes du fascisme et de lantisémitisme sont-ils actuels en Moldavie ?
N. S. : Je désirerais, avant tout, mentionner que la journée du 9 novembre chez nous est marquée non seulement comme la journée contre le fascisme et lantisémitisme, mais aussi comme la journée de lutte contre toutes sortes de manifestation de discriminations. Dans la République de Moldavie, environ 35 % de la population est formée de minorités nationales ukrainiennes, russes, gagaouzes, bulgares, juifs, tsiganes et autres. Il est très important aujourdhui dattirer lopinion publique sur les problèmes auxquels les gens sont confrontés dans la réalisation de leurs études, dans leur cadre de travail et dans leur vie quotidienne. Dans notre société sont présents des stéréotypes négatifs, par exemple, vis à vis des tsiganes, réfugiés des pays asiatiques, des étudiants étrangers du monde arabe. La majorité de la population leur associe limage déléments criminels, de trafiquants de drogue.
I. T. : À propos, depuis peu, la veille du 9 novembre, ont été répendues dans la capitale des feuilles volantes antissémites avec la svastica. Toujours alors a été profané le monument des détenus dans le ghetto de Chisnau. Cela est, peut-être, quelque chose de neuf pour notre pays. Comment commentez-vous cela ?
N. S. : Malheureusement, ce ne sont pas des cas uniques. On peut rencontrer des cas de vandalisme dans les cimetières juifs. Des inscriptions apparaissent sur les édifices des communautés juives, des centres culturels, qui appellent au nettoyage du pays de la présence de ce peuple. La presse radicale de droite publie des blagues sur les juifs, et pas seulement sur les juifs.
I. T. : En vérité, notre presse nest-elle pas plutôt quune quatrième force, une quatrième faiblesse ?
N. S. : Conformément aux résultats du monitoring que nous avons effectué, dans les dix dernières années, la corrélation des matériaux négatifs vis-à-vis des personnes dautres provenances par rapport aux matériaux positifs est de 1 sur 3. Le plus souvent, les matériaux positifs portent un caractère informationnel, tandis que dans les écrits négatifs, nos journalistes se mettent à exposer des raisonnements étendus concernant la supériorité dune nation sur lautre.
I. T. : Oui, il est indiqué ici de paraphraser Berdeaev(2) : à la base de lantisémitisme se trouve lincapacité :
N. S. : La réaction à de telles publications est importante tant de la part de lopinion publique que de la part des autorités. Sont ignorées, non seulement les normes législatives qui prévoient la responsabilité pour lattisement de la discorde entre nations, mais aussi les règles éthiques des journalistes. Environ 40 % de la population reconnaît le rôle prédominant de la mass-média dans ces questions. Et cela ne se réfère pas seulement à la Moldavie. Souvenons-nous de la situation de lancienne Yougoslavie, de Chypre, de la Russie avec la Tchétchénie
I. T. : Quelles sont, cependant, les causes de telles tendances dans la société et dans la presse ?
N. S. : Si nous devons parler concrètement de la Moldavie et des États post-soviétiques, ici, bien sûr, on sent linfluence de la dissolution de lempire socialiste quand, à la fin des années 80, laccroissement de la conscience de soi de la population autochtone allait sur la voie de la négation des droits des autres peuples, de la redistribution territoriale, qui ont conduit finalement à des guerres sanguinaires. Bien sûr, à lépoque soviétique lantisémitisme et le nationalisme ont été assez développés, mais ils étaient habilement cachés par la machine soviétique. Et voilà, maintenant la liberté et la démocratie pour nous sont un phénomène absolument nouveau, qui est en même temps perçu comme quelque chose dillimité. Cela se réfère aussi à la presse, pour qui la liberté consiste à publier tout ce qui lui passe par la tête. Mais noublions pas que la démocratie est en même temps un complexe de certaines règles de comportement et, avant tout, de règles éthiques. Il faut mentionner, peut être aussi, le manque dattention face à ces questions dans la sphère de lenseignement. Si le système soviétique de lenseignement donnait aux enfants une orientation claire comme quoi, le fascisme cest mal, bien quil nen expliquait pas clairement lessence, alors maintenant, on ne donne même pas ça aux élèves. Comment faut-il donc que réagisse la jeunesse, par exemple, aux articles de lécrivain connu (je ne voudrais pas le nommer) qui peuvent être lus dans la presse de droite, (dont les uvres sont incluses dans le programme scolaire et universitaire), qui justifie les crimes du Maréchal Antonescu, lallié de Hitler, contre le peuple juif et dautres peuples.
I. T. : Oui, en effet, il est important que nous comprenions que le nationalisme, lantisémitisme, le fascisme nont pas de nationalité ces phénomènes peuvent être rencontrés nimporte où. Les habitants de la Moldavie se glorifient de leur diligence. Nous voudrions croire que lactivité de votre organisation et des organisations similaires contribueront à instaurer de la tolérance, de la paix civique et à la conciliation, pas seulement en Moldavie, mais aussi dans dautres pays. Je vous remercie pour linterview et vous souhaite du succès !
Propos recueillis par
Iulia Trombitacaia
Correspondante de lUn [EST] lAutre en Moldavie.
Traduit du roumain par Didier Schein.
Notes :
1. Le territoire de la République de Moldavie est par origine une partie de lespace roumain, qui au XVIIIe et XIXe siècles a été ravi par lempire russe à lépoque des guerres russo-turques. Plus tard, une partie de ce territoire la Bessarabie situé entre la rivière Prut et le fleuve Dnistr, entre la première et la seconde guerre mondiale a été une partie de lespace roumain. Pendant la seconde guerre mondiale, ce territoire est passé plusieurs fois de main en main, mais en 1944, il est devenu une partie du territoire de lUnion Soviétique qui a formé, ensemble avec la partie située sur la rive gauche du Dnistr, une des républiques soviétiques la République soviétique moldave jusquen 1991, quand ce territoire a été déclaré État indépendant la République de Moldavie.
2. Nicolas Berdeaev. Philosophe russe (1874-1948), qui a été expatrié en 1922 et a créé à Paris la revue philosophico-religieuse « La Voie » (1925-1940).

