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Yannick
Champain
Mars 1999 |
  

La correspondante de lassociation Maison de Sagesse est professeur de français à Sarajevo. Elle souhaitait créer cinq bibliothèques francophones.
Les membres de lassociation ont récolté durant lannée 1998 plusieurs milliers de livres. Un convoi de deux camions a pu être financé, affrétés par lassociation Urgence Solidarité Internationale.
Le chargement a été complété par des joggings et des denrées alimentaires.
uatre conducteurs composent le convoi : Jean-Claude Gozzi, président de lassociation Urgence Solidarité Internationale, Henri Cammisar, Denis Schneider, membres de cette association, et moi-même, membre de lassociation Maison de Sagesse. Nous sommes partis le 19 décembre 98 de lentrepôt dUrgence Solidarité Internationale situé à Salon-de-Provence. Des livres pour enfants, des peluches, des jouets, du chocolat, des gâteaux, des produits alimentaires, des joggings et des vêtements pour enfants et adultes constituaient notre chargement de trois tonnes environ.
Nous avons pris les autoroutes jusquà la frontière italo-slovène. La douane slovène nous a retenus quatre heures pour un papier qui manquait, la feuille de route, et nous a laissé repartir sans. La douane croate posera, elle, des plombs sur les camions.
Après avoir traversé la Slovénie, nous avons suivi la route qui longe la côte de la mer Adriatique et sommes montés sur Sarajevo par la route de Mostar. Nous sommes arrivés à la frontière bosniaque en fin daprès-midi, il faisait nuit. La douane était installée dans des baraquements précaires et nous sommes une première fois passés devant sans la voir. La police bosniaque nous attendait quelques kilomètres plus loin et nous a raccompagnés à la frontière où nous sommes restés toute la nuit. Nous sommes repartis le lendemain à 13 heures seulement : le transitaire en douane nous demandait un papier que nous navions pas ; lautorisation de convoi humanitaire et le numéro de convoi. Le centre culturel français André Malraux nous a faxé ce document. Après quelques heures dattente, les camions ont de nouveau été plombés.
De Mostar à Sarajevo, la route traverse des villages détruits, musulmans et catholiques, et des villages en reconstruction. Tout le long de la route, on rencontre des militaires des forces de lOTAN, français, ukrainiens, allemands, italiens, ainsi que des soldats croates de Bosnie. Ils surveillent en particulier les ponts, les barrages et autres points stratégiques.
La route suit les gorges de la rivière Neretva et passe sous le mont Ivan où le climat, de méditerranéen devient continental. La ville de Sarajevo est située à 550 m au dessus du niveau de la mer et est entourée de montagnes. La température est constament restée en dessous de zéro durant notre séjour, avec parfois -20 au thermomètre le matin.
Nous sommes arrivés à Sarajevo en fin daprès-midi par la grande avenue où les snippers ont fait tant de victimes. La ville est reconstruite à 80 %, mais compte encore de nombreux immeubles éventrés, de tours démolies ou sans façades, de maisons sans toits.
Notre première destination fut le centre culturel André Malraux, situé en centre-ville à deux pas de la rue piétonne très fréquentée et face au marché aux fruits et légumes, toujours bondé, où a eu lieu le fameux massacre. Les personnes du centre culturel nous ont beaucoup aidés, aussi bien pour obtenir les papiers de douane que pour nous orienter dans la ville. En particulier Dzevad nous a consacré plusieurs jours, étant notre interprète et notre guide. Il nous a fait visiter et raconté sa ville natale, et nous a expliqué la guerre.
Francis Bueb, directeur du centre nous a appelé de France et nous a fait part du travail exécuté par la fondation du général Diviak, Éducation pour Construire la Bosnie. Nous avons rencontré M. Diviak qui nous a explicité son action auprès des orphelins de guerre et des jeunes enfants de réfugiés, les créations décoles et le soutien matériel des écoles destinés aux enfants victimes de la guerre. Nous avons décidé de laisser une partie de notre chargement en nourriture et vêtements à cette fondation.
Le premier jour, nous navons pas pu faire déplomber les camions : il manquait un papier que nous sommes allés chercher dans un ministère, faire traduire au centre culturel et porter ensuite de bureau en bureau. Le lendemain seulement, les camions sortaient de douane. Les frais qui nous avaient alors été demandés sélevaient à 280 KM (soit 280 Marks). Le transitaire nous a fait cadeau de sa prestation (220 KM).
Dès que nous avons pu sortir les camions de douane, nous sommes allés à la Youth House, un centre culturel où sont donnés des cours pour les enfants et adolescents en dehors de lécole ; danse, musique, informatique, sport, anglais, dessin, etc. Ce centre se situe dans le nouveau Sarajevo, au cur des cités où se trouvait le front de guerre. Nous avons déchargé les joggings, du chocolat et des gâteaux. Le centre a besoin dinstruments de musique et de vêtements de danse. Il vit de subventions venant de létranger et essentiellement des États-Unis. Un projet de construction de locaux est en cours.
La directrice a exprimé le besoin des enfants et adolescents de contacts avec les cultures étrangères et notamment française, contacts quelle souhaiterait formaliser par des interventions de professeurs étrangers dans la Maison de la jeunesse.
Le lendemain, nous avons porté à lécole Biseri les peluches, les jouets, du chocolat, des gâteaux et dautres produits alimentaires. Lécole se situe sur les hauteurs de la ville, dans un quartier ancien. Cest une école communale pour les petits. Janine Sénéchal y donne des cours de français, ainsi que dans une école voisine. La directrice est très satisfaite de lactivité que mène Mme Sénéchal avec les enfants. Ceux-ci et leurs parents, encore sous le choc de la guerre, ont un grand besoin de ce contact avec la culture française.
Un enseignant de ces écoles reçoit un salaire de 150 KM par mois, soit moins que ce que demandait un transitaire en douane pour sa prestation unique (220 KM).
Une grande partie du chargement en alimentation a été donné à la fondation Éducation pour Construire la Bosnie et Herzégovine dont le siège est en centre-ville. Les livres pour enfants collectés en France par la Maison de Sagesse furent portés au centre culturel André Malraux afin que Mme Sénéchal les distribue aux écoles.
Le centre de Sarajevo fut reconstruit après 1995. Il sarticule autour dune rue piétonne très fréquentée. De nombreuses boutiques dartisans vendent aux touristes, objets en cuivre martelé, tapis et autres produits traditionnels. Leur clientèle est essentiellement constituée détrangers, notamment de militaires des forces de lOTAN. Ils sont à Sarajevo 35 000, basés dans les quartiers périphériques et patrouillent dans laglomération ou restent postés aux points stratégiques.
La frontière entre la République Serbe de Bosnie et la Fédération Croato-musulmane partage les quartiers périphériques de Sarajevo. Cette frontière nest pas marquée physiquement mais elle est prégnante dans les esprits. Elle suit lancien front de guerre. Les combats se sont déroulés dans les cités, ils avaient lieu entre deux tours ou entre les deux côté dune rue. Il reste des zones entières où les immeubles sont criblés dimpacts de balles ou dobus, ou démolis. Les pelouses y sont dangereuses parce que minées.
Nous avons rencontré des tsiganes qui vivaient dans ces ruines. Dans un immeuble vivaient treize familles. Celle avec qui nous avons eu un dialogue est réfugiée de Tuzla, depuis deux ans. Le mari était éboueur. Il est aujourdhui sans travail. Ils étaient sédentarisés. Ils vivent maintenant, lui, sa femme et leurs douze enfants dans une pièce de 20 m2, dont le plafond est tombé sous le coup dune déflagration pendant les combats, sans eau ni électricité, avec un poêle de fortune pour tout chauffage. Les enfants nont pas de chaussures ni de vêtements à leur taille. Ils ne reçoivent aucun soin. Les conditions de vie de ces personnes sont les plus difficiles que nous ayons vues. Nous leur avons laissé la nourriture et les vêtements qui nous restaient.
Dzevad a évoqué les conditions de vie dans les camps de réfugiés autour de Tuzla. Les tziganes et les réfugiés bosniaques ou serbes sont les plus démunies des populations victimes de la guerre et ils sont oubliés par laide humanitaire.
Ce convoi nous a conforté dans la nécessité de créer avec la Bosnie et Herzégovine et notamment avec Sarajevo, des liens durables dans le cadre de la francophonie(1) et de laide humanitaire sur plusieurs plans :
poursuivre notre action en faveur des enfants petits et grands, dans les écoles et les centres de loisirs pour lapprentissage du français et la découverte de notre culture,
préparer des interventions auprès des populations tziganes, dune part sous forme daide humanitaire durgence en regard de leurs besoins impérieux en tout et dautre part sous la forme dun développement durable en concertation avec les communautés,
préparer des interventions daide durgence pour les réfugiés de Tuzla.
Yannick CHAMPAIN
Note :
1. Pour la Bosnie-Herzégovine, la partie la plus importante des francophones nest pas à Sarajevo, où le français nest plus enseigné dans les école quen tant que langue étrangère, mais en Herzégovine où le français est resté première langue. Cest en Herzégovine quont eu lieu les pires atrocités et, dans les écoles qui restent (il manque hélas beaucoup denfants) les besoin sont immenses.


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