ontrairement à ce que lon peut simaginer, sur les rives de la Volga, le plus grand fleuve dEurope, ne vivent pas que des Russes. Le long de son cours se sont fixées, depuis des siècles, des populations différentes. Les Mari, qui habitent le bassin de la Volga, entre Nijni-Novgorod et Kazan, en font partie
En pensant à la récolte, un Mari dit : « Quil serait bien quaujourdhui Perké soit avec nous
»
Quand quelquun passe chez son voisin et le surprend à lheure du repas, il salue alors le maître du logis par ces mots : « Que Perké soit avec vous ! »
Depuis longtemps le peuple croit que Perké ne visite que le maître de logis hospitalier et travailleur.
On raconte quautrefois dans un village vivait un riche Mari du nom de Saran. Il était très avare et ladre. Chez lui les greniers et les caves croumaient de denrées ; dans la grange demeuraient des miches de pain non rompues. Ainsi longtemps demeuraient-elles, au point que les bolets avaient le temps dy grandir.
Mais personne ne se souvenait que Saran avait une fois partagé le pain avec quelquun. Il arrivait que Saran déjeunait et quà ce moment passait chez lui un voisin. Le richard entendait un grincement des portes et, vite, cachait toute la nourristure : un morceau dans le poêle, un autre dans le coin, et en une minute sur la table ne restent quà peine quelques miettes. Le voisin était dans lizba et Saran lui disait, en soufflant :
Och, tu nest pas passé à temps mon bon voisin. Tu es un peu en retard, nous venons juste de déjeuner et de laver la chaudière
En fait, je ne sais que toffrir
Mais le voisin connaissait depuis longtemps lavarice de Saran et il agitait seulement la main :
Ne ten fait pas, mon vieux Saran, jen ai la gorge rassasiée, jai déjeuné si copieusement quil se pourrait bien que je ne veuille plus manger de la semaine.
Bon daccord, disait Saran, je voudrais pourtant bien toffrir quelque chose
Le voisin sen allait, Saran à nouveau sortait la nourriture sur la table.
Saran ne travaillait pas lui même au champ. Pour lui, nuit et jour, travaillaient les valets de ferme
Mais Saran les nourrissait à les affamer : il donnait un morceau de pain rassis et là-dessus rajoutait encore :
Tous des parasites, ils me dévorent moi-même
Quil serait bien sil ne fallait nourrir personne
Perké, le dieu de laisance entendit parler de Saran.
Et une fois, par une chaude journée dété, à lizba de Saran, frappa un vieux gueux. Saran justement déjeunait à ce moment là.
Le gueux était vieux, faible. La femme de Saran eut pitié de lui et, quand son mari était retourné, elle lui donna en cachette une croûte de pain.
Mais Saran surveillait quand même : comme un milan il fondit sur le vieux et lui arracha la croûte des mains. :
Il faut donner à tout le monde ! Allons plutôt nous-même de par le monde ! Au lieu des vagabons, mieux vaut nourrir ses cochons !
Le vieux regarda le richard et demanda :
Veux-tu que je fasse de sorte que jamais personne ne te demande du pain ?
Saran se réjouit :
Je le veux ! Je le veux ! Je crois bien quil est dommage de toujours donner son pain aux gens.
Prends ton arc et une flèche, sort dans la cour et tire la flèche du côté de ta grange, dit le vieux, si tu fais ainsi, alors plus jamais personne ne viendra te réclamer.
Saran empoigna larc et la flèche et, oubliant même de remettre son bonnet, il bondit dans la cour. Il tira la corde et décocha la flèche en direction de la grange où, comme dans lizba, sentassaient des miches de pain non rompu. La flèche tomba au milieu de la grange et au même moment toutes les miches senflèrent en un chaud brasier.
Et le vieux gueux dit :
Maintenant ton désir est accompli, âme avare. Plus personne ne passera chez toi te demander du pain. Cest moi Perké qui te le dis. Ainsi parla le vieux et il disparut, comme sil était entré sous terre.
Il comprit alors, le ladre Saran, quil avait offensé Perké lui-même, qui donne aisance aux gens travailleurs et hospitaliers. Flambèrent de fond en comble et la grange et les miches. Personne parmi les villageois ne courut éteindre lincendie. Et brûla aussi la maison de Saran et la cour. Lavare Saran demeura un gueux ; il est maintenant lui-même parti de par le monde demander son pain aux gens.
Aujourdhui plus personne ne croit au vieux Perké ; le mot «perké» signifie maintenant tout simplement «récolte», «abondance».
Traduit du russe par
Didier Schein

