Mai 2000

nnamária a 30 ans et vit aujourd’hui à Budapest où elle est née. Elle est actuellement directrice de clientèle et gère les budgets de sociétés de distribution de grande consommation. Elle conçoit des plans marketing qui seront ensuite réalisé graphiquement par les maquetistes de la société de publicité où elle travaille. L’Un [EST]l’Autre est en contact avec elle depuis cinq ans, alors qu’elle étudiait à l’ISCID de Dunkerque.

L'Un [EST] l’Autre : Quels sont les traits culturels qui différencient le plus les Hongrois des Français ?

Annamaria :
Les Français donnent l’impression d’être plus sûrs d’eux, même s’ils ne connaissent pas une chose, ils seraient prétencieux. C’est aussi un point positif, puisqu’ils osent plus facilement faire certaines choses, ils prennent des risques. En Hongrie on se donne plus de limites (fatalisme… la Hongrie est au 1er rang pour le suicide).
Les Français sont aussi plus curieux, plus attentifs aux choses simples (comme dans le domaine de la fête…), plus fins. En Hongrie ces occasions sont plus exceptionnelles, on fait les choses en grand, ou on ne les fait pas. Il y a peu de simplicité dans ces démonstrations, moins de spontanéité.

L&L : En général, la France est-elle bien perçue et connue en Hongrie ?

K.A. :
Beaucoup de Hongrois (âgés) détestent les Français. C’est un reste de la guerre de 14-18 (traité de Trianon qui emputa la Hongrie). Par rapport à l’anglais et à l’Allemand, le français est la troisième langue étrangère. Bien que l’institut culturel français soit très actif (il présente de nombreuses expositions), la culture française est peu représenté. Dans les cinémas d’art et essais (un tiers des cinémas) passent quelques films, mais touchant une minorité. On ne les voit pas dans les salles commerciales. Les Hongrois sont plus sensibles à la culture anglo-américaine.

L&L : Les Français que tu as connus connaissaient-ils la Hongrie?

K.A. :
Non, très peu. J’ai eu l’impression de venir d’un pays négligeable et inconnu, fondu dans la Russie. On faisait l’amalgame. Il était difficile de faire comprendre que la Hongrie et la Russie n’avaient rien à voir, qu’ils étaient différents. On refusait de me croire de chercher à comprendre. On fusionnait tous les pays de l’Est, et leurs langues. (Les élèves, mais aussi quelques profs). Les pays de l’Est étaient forcément des pays pauvres. C’était humiliant. Des étudiants russes brillants venant d’une très grande université, connaissaient aussi le même sort. Il valait mieux fréquenter des Français et travailler avec eux plutôt qu’avec des étrangers, pour éviter d’être marginalisé. Les étudiants avaient beaucoup de préjugés.

L&L : En 1989, les pays du bloc communiste se sont ouverts à la démocratie. Comment as-tu perçu ce changement ?

K.A. :
Les changements ne se sont pas faits du jour au landemain. La Hongrie était déjà plus ouverte, moins sous la pression soviétique. Le départ des Russes (sur la pointe des pieds) a été simplement symbolique. Les Russes ne se sont pas opposés. L’arrivé de l’économie de marché a été plus visible. il n’y a pas eu de crise. Les choses ont été progressives.

L&L : Vois-tu les changements effectués depuis dix ans de façon positive ou négative ?

K.A. :
Négative… Les effets des changements n’ont pas été prévus, la population n’a pu être protégée, du fait du manque de ressources (remboursement de la dette extérieure (à la suite de la dernière guerre).

L&L : Existe-t-il de grandes disparités entre les niveaux de vie ?

K.A. :
Oui de plus en plus. La nouvelle classe économique (politique, finance, commerce, import-export…) s’enrichit. Les lois ne sont pas en faveur des petites entreprises. Les salariés de l’État connaissent des problèmes, manquent de rentabilité et de finances de la part de l’État. La classe moyenne, inexistante sous le socialisme n’est toujours pas constituée.
Il y a aussi des différences entre l’Est et l’Ouest plus proche de Vienne (puis vitrine de l’économie socialiste). La terre y est aussi plus riche.

L&L : Comment se perçoit la construction européenne en Hongrie ?

K.A. :
Il y a moins en moins d’opposition à l’Europe. Cela apparaît comme une nécessité, la Hongrie est un petit pays. On ne réalise pas encore les problèmes que cela pourra apporter. Ce n’est plus un problème qui oppose les différents partis.

L&L : L’économie hongroise est-elle autonome, ou se dirige-t-elle vers une dépendance envers l’Europe et les États-Unis ?

K.A. :
Elle est très dépendante de l’extérieur. Ce qui y était produit (env. 90 %) partait en Russie. La production actuelle est peu consommée à cause de la concurence étrangère. Beaucoup d’entreprises ont été rachetées puis fermées. L’industrie date de la fin du XIXe siècle, mais le socialisme a investi dans l’industrie lourde qui est en ruine aujourd’hui.

L&L : Contrairement à la Roumanie, la Hongrie est un pays industriel de longue date, de plus, la capitale rassemble environ 20 % de la population. Quels sont les rapports entretenus entre Budapest et le reste du pays ?

K.A. :
Budapest rassemble l’essentiel de l’économie, de l’administration, c’est un nœud de communication. Les petites villes sont complètement dépendantes de Budapest, elle attire de plus en plus de monde. Il est difficile de vivre à la campagne. La Hongrie est un pays très centralisé.

L&L : Quelles sont les principales firmes étrangères présentes en Hongrie ?

K.A. :
Elles sont allemandes, autrichiennes. Puis viennent les USA (grâce à une aide, une garantie américaine en faveur des investisseurs). En premier lieu, les infrastructures (eau, gaz, téléphone…) ont déjà été achetées, les prix augmentent très vite. L’État a vendu le patrimoine, parfois sans informer la population. Un aller/retour Budapest-Szeged par autauroute coûte aussi cher qu’un abonnement à l’année en Autriche) les routes nationales ont été remplacées par des autoroutes (sur les grakds-axes), le pays a été bradé. En troisième cycle, arrivent les Français, depuis quatre ans.

L&L : Quels sont les produits hongrois qui s’exportent le plus, vers quels pays ?

K.A. :
Des produits alimentaires. La CEE ne laissant pas entrer certains produit, cela se fait vers l’Est. Mais les produits se vendent difficilement et rapportent peu, du fait du manque de créance des acheteurs.

L&L : Les Français se hissent-ils dans l’esprit des Hongrois comme de grands investisseurs ?

K.A. :
Non. En général ils sont radins. Les salaires dans les sociétés françaises ne sont pas motivants contrairement aux autres sociétés. Certaines entreprises qui réussissent sont celles qui réinvestissent et s’intéresse à la mentalité et aux particularités du pays, celles qui ne cherchent pas à faire uniquement du profit.

L&L : Quelle a été l’évolution de la vie culturelle ces dix dernières années ?

K.A. :
La Hongrie devient de plus en plus « commercialisée ». La culture devient chère. Ceux qui ont le plus d’argent ne sont pas ceux qui ont la plus grande sensibilité artistique. La Hongrie ne se protège pas de la culture américaine de basse qualité. Les créateurs ne sont pas populaires et sont compris par une petite tranche, les gens ne sont pas éduqués dans le bons sens. Il était plus facile de vivre pour un artiste (malgré la censure) sous le socialisme.

L&L : Quels sont les écrivains, les musiciens hongrois que tu conseillerais ?

K.A. :
Ady Endre. József Attila (poètes), la musique traditionnelle (Muzsikas) et aller visiter les bains thermaux…

L&L : Les mentalités (du point de vue de la convivialité) ont-elles changé ?

K.A. :
Oui. La vie est devenue épuisante. On ne prend pas le temps de vivre. On vit au jour le jour. L’argent est au centre de la vie, et on a moins d’assurance sociale. On veut faire fortune au plus vite, on sacrifie sa vie pour l’argent, on se désintéresse des gens et de la culture. On cherche la quantité et non pas la qualité.

L&L : Quel rapport les Hongrois entretiennent-ils avec leur culture traditionnelle ?

K.A. :
Cela les intéresse de moins en moins. On ne la protège pas. Les traditions s’oublient.

L&L : Y-a-il un problème de minorités en Hongrie ?

K.A. :
Oui, avec les tsiganes. Ils ne s’intègrent pas et veulent rester en dehors de la société, le cercle est vicieux puisqu’ils sont les premières victimes et il n’y a pas de véritable politique en leur faveur. Ils commencent à s’organiser, et à faire part de leurs problèmes (ils ont un parti, des églises…) Les allemands, sont aidés par leur pays. Les autres communautés sont libres, mais il n’y a pas d’argent, cependant elles s’attachent de plus en plus à leurs traditions.

L&L : En 1996 la Hongrie a signé un traité avec la Roumanie, sensé stabiliser les relations entre les deux pays sur la question de la minorité magyare de Roumanie. Quelle a été à l’époque l’empleur du débat en Hongrie ?

K.A. :
La question transylvaine a beaucoup touché les gens, mais en ce moment on n’en parle pas autant, on veut préserver la paix. Mais il y a toujours des rumeurs…

L&L : Les Hongrois accordent-ils toujours une grande valeur affective à la Transylvanie ?

K.A. :
Il y a eu une mode de retour à la tradition à la fin des années 80, un peu nosthalgique et ramantique. La Transylvanie représente aussi une partie préservée de la tradition.

L&L : En général, les Hongrois s’intéressent-ils à la politique ?
K.A. :
Oui, mais de façon superficielle, ce qui touche les questions économiques.

L&L : La classe politique a-t-elle bonne réputation ?

K.A. :
Non. De nombreuses blagues, des scandales circulent… On ne respecte pas les politiciens, les hongrois sont un peu déçus.

L&L : Les Hongrois sont-ils sensibles aux questions écologiques et environnementales ?

K.A. :
Non. Leurs problèmes directs les préoccupent davantage. Ils sont plus attentifs au prix d’un produit.

L&L : Dans les sociétés, l’encadrement est-il majoritairement hongrois ?

K.A. :
De plus en plus hongrois depuis environs 4 ans (y compris dans les entrprises étrangères). Avant il y avait plus d’étrangers. Les Hongrois sont moins chers et on peut trouver des professionels compétents sur place. Il est plus difficile pour des étrangers de trouver du travail en Hongrie.

L&L : Les formations correspondent-elles à la demande actuelle, ou est-il encore nécessaire de se former à l’étranger ?

K.A. :
Oui. La nouvelle génération est déjà sur le marché.

L&L : En rentrant en Hongrie, as-tu eu de la peine à trouver du travail ?

K.A. :
Non pas tellement. Parce que j’avais un métier à la mode. Dans 3 ou 4 ans, des problèmes pourront se présenter pour moi. Il y aura plus de gens compétents, aujourd’hui il y beaucoup de fluctuation, davantage d’offre.

L&L : Existe-t-il l’équivalent de l’Anpe et des Assedic ?

K.A. :
Oui. Il faut être enregistré, chercher du travail, comme en France. Le chômage diminue de mois en mois très vite pour n’arriver à plus rien. Beaucoup de gens se retrouvent à la rue, en ville comme à la campagne. Il n’y a pas de réseau social, cela n’a pas été prévu avec les changements économique. Cela ne s’est fait que longtemps après. Le chômage n’a été considéré que très tard.

L&L : Es-tu satisfaite de ton emploi ?

K.A. :
Oui. Je gagne de l’argent. Par rapport aux autres je réussis, mais ma vie personnelle ne me donne pas satisfaction. Cela me donne l’impression d’être temporaire. Il n’est pas sûr que cela dure. L’avenir n’est pas prévisible. On ne peut pas faire de projets à long terme.

Propos recueillis par
Laurent Girard