Laurent
Girard

Février 2001

rganisée conjointement par le Forum Rouge et Vert, et le Cercle Condorcet de Rennes, une soirée-débat s’est tenue le 14 novembre 2000, à Rennes.
Dans un environnement où le Capital prend de plus en plus de pouvoir, où la démocratie est présentée comme le modèle politique de référence dans le monde, il semble intéressant de faire le point sur une idée déjà ancienne, celle de la participation des salariés à la construction, l’évolution et l’avenir de l’organisation qui est sensée leur apporter moyens de subsistances et de réalisation personnelle : l’entreprise.
À cette soirée participaient M. Patrick Guiol, chargé de recherche au CNRS et M. Pierre Galesne, PDG de Testélec, société mettant en œuvre en son sein certaines innovations sociales.
Les Rouge et Vert sont une organisation politique assez récemment apparue dans le paysage politique français, créée autour de la candidature de Pierre Juquin à l’élection présidentielle de 1988. Ses princiaples préoccupations sont d’ordre social, culturel et écologique(1). Son originalité réside aussi dans l’organisation de débats publics où les questions de société peuvent être discutées, dans un souci de mise à disposition du débat politique aux citoyens.
Le Cercle Condorcet, né au sein des œuvres laïques, est une fédération de groupes de réflexion autour de la laïcité, de l’éducation et de la citoyenneté. Chaque groupe fonctionne sur la base d’ateliers (s’étalant parfois sur plusieurs années) et de débats au sein d’assemblées plénières ou publics(2).
Compte rendu…

La loi de 1962 sur les sociétés commerciales tourne autour du capital et non du savoir faire.
Les actionnaires élisent un conseil d’administration ou de surveillance. Les salariés qui font vivre le capital n’interviennent d’aucune sorte dans ce processus. Or, sans le capital, les salariés ne sont rien et inversement. Il existe donc une communauté d’intérêt entre les deux parties. Certains chefs d’entreprise essaient d’aller dans ce sens. Mais proposer la participation des salariés à la marche de leur entreprise est une rupture avec une tradition de paternalisme et d’opposition, vieille d’une centaine d’années.
Une égalité des forces n’est possible que s’il existe une organisation institutionnelle, une garantie étatique.
C’est ainsi le but du Cercle Condorcet ; travailler à l’élaboration d’une législation permettant une organisation différente de l’entreprise.
L’idée d’une représentation paritaire des salariés n’est pas nouvelle. Elle repose sur l’expérience personnelle de chefs d’entreprises essayant d’introduire une démarche démocratique dans leurs sociétés, initiatives spontanées, non dictées par la loi. L’entreprise classique fonctionne toujours sur le modèle militaire, où le pouvoir absolu est détenu par le patron, ou les actionnaires. Les lois sociales ne remettent pas ce principe en question, il est seulement demandé de consulter et d’informer. La loi autorise la représentation des salariés au tiers. Celui-ci a coutume de laisser sa citoyenneté à la porte de son entreprise, véritable « enclave féodale » dans la société.

Pour exemple, M. Galesne, l’un des principaux promoteurs de la société anonyme à gestion paritaire (SAGP) et PDG de Testelec, s’appuie dans son entreprise sur plusieurs principes, même si l’administration n’offre toujours pas de cadre législatif.
– Aucune décision n’est prise par un seul homme. À chaque niveau, salariés, encadrement, direction, il y a débat, critique, proposition.
– Le bénéfice n’est pas l’objectif primordial de l’entreprise. Ceci peut sembler contradictoire pour une société capitaliste. À moins qu’on ne considère que c’est l’adhésion (par la reconnaissance, le bien être…) de l’ensemble du personnel au projet qui génère le bénéfice.
– Le réglement des problèmes se fait au niveau où ils se rencontrent, par les personnes concernées. Il peuvent être d’ordre général, comme la gestion des bénéfices, ou tout simplement concerner l’environnement de travail.
Ceci, bien sûr, implique beaucoup de réunions, d’heures de travail perdues. Mais il s’agit d’un investissement comme un autre, sur le long terme.

Les entreprises jouant sur l’association du capital et du travail possèdent quelques caractéristiques communes.
Tout d’abord, leurs patrons sont le plus souvent d’origine ouvrière, ou de forte culture chrétienne ou sociale. Il ont en alergie la logique du conflit.
Les salariés sont le plus souvent très qualifiés, parfois en contact avec la clientèle. On peut prendre l’exemple du secteur bancaire, où les employés sont les ambassadeurs de l’entreprise.

La réticence envers une conception démocratique de l’entreprise renvoie à d’anciennes incompatibilités idéologiques. Le Général de Gaulle en subit lui-même les conséquences, alors qu’il fut un des précurseurs dans le domaine politique(3), dès l’après-guerre.
À gauche, on pensait qu’il s’agissait d’un piège tendu aux travailleurs, visant à le démobiliser dans le contexte de la lutte des classes, considérée comme moteur du progrès social.
Du côté du patronat il n’y avait pas d’adhésion. On y dénonça même ces « perspectives de soviets ».
Dans les rangs gaullistes, on freina les méthodes et les objectifs. Et ceux qui se revendiquent aujourd’hui du Général, ne faillissent pas à cette règle.

Afin de savoir si le management participatif peut avoir une influence sur les salariés et leur implication dans la vie sociale, une enquête a été réalisée par M. Guiol. Un échantillon d’entreprises de profils similaires, « patriarcales » ou participatives, a été sélectionné, principalement dans l’Ouest de la France, région riche en expériences.
Il fut tout d’abord difficile aux enquêteurs de pénétrer dans les entreprises de type traditionnel. Il durent user de différents subterfuges. Dans le cas des entreprises participatives, l’objet du bien fondé de l’enquête dût faire l’objet de discussions internes.
Le but de cette enquête n’était pas de vérifier les réussites économiques, mais les effets « secondaires », à savoir si un environnement participatif modifie les comportements dans et hors de l’entreprise, dans la vie publique et privée, dans les rapports sociaux et hiérarchiques, s’il ouvre à l’optimisme ou au pessimisme.
Selon les conclusions de l’enquête, il en ressort que l’environnement professionnel influe bien sur les mentalités et les comportements en dehors du travail. Mais dans quel sens ?
Il existe tout d’abord un clivage très fort entre les deux échantillons. Les salariés d’entreprises de type participatif montrent plus de confiance vis à vis de l’enquête. Ils perçoivent davantage la hiérarchie comme ayant un rôle d’animation, de discussion et d’organisation, et non pas simplement d’autorité. Il conçoivent plus aisément la communauté d’intérêt entre le patronat et le salariat et se sentent plus investis dans la vie de leur entreprise. Il admettent davantage la nécessité d’une discipline et d’un réglement, et leur perception des conflits de classes est moins aiguë et enfin, ils sont plus attachés au rôle des syndicats. Ils sont aussi plus autonome vis-à-vis de la hiérarchie.
Dans leur vie sociale maintenant, en dehors de leur lieu de travail, ils se montrent plus optimistes et reconnaissent volontiers que l’on vit mieux aujourd’hui qu’il y a vingt ans. Leur vie sociale est plus intense et leur sociabilité plus forte. Ils sont culturellement plus ouverts, se mobilisent davantage pour les causes démocratiques et humanitaires. Ils se montrent plus investis dans leur vie familiale, notamment dans l’éducation de leurs enfants.
Si la pratique politique reste faible dans les deux échantillons, elle est malgré tout plus représentée chez les salariés de milieu participatif qui en général remettent en cause l’idée de « révolution ». Ils sont plus modérés, plus ouverts au dialogue.
Ainsi, comme on peu le constater au regard de cette enquête, il n’existe pas de barrière entre l’entreprise, le travail et la société, la citoyenneté.
Les craintes respectives des forces politiques des années soixante se révélent à la fois croisées et contredites. La participation n’entre pas comme dans un moule, dans la logique bipolaire gauche/droite. Comme on le craignait à gauche, il n’y eu pas d’aliénation du salarié, mais au contraire un renforcement du sentiments de solidarité. Il n’y eu pas non plus de « soviétisation » des entreprises, mais une identification aux intérêts du patronat.

La participation est aujourd’hui à la recherche d’un second souffle. Les initiatives particulières montrent son bien fondé tant dans le domaine économique que social. Il ne lui reste qu’à trouver un cadre légal, non pas pour s’imposer comme modèle unique, mais tout simplement pour exister.

Laurent GIRARD


Notes :

1. Les personnes intéressées par le programme de cette organisation pouront consulter son site Internet…
2. Consulter le site Internet du Cercle :
http://www.cercle-condorcet-paris.com/accueil.htm
3. « C’est l’association réelle et contractuelle que nous voulons établir et non pas ces succédanés primes à la productivité, actionnariat ouvrier, intéressement aux bénéfices, par quoi certains qui se croient habiles essaient de la détourner. Dans cette manière comme dans les autres, nous nous sommes mis d’accord avec nos arrières pensées » (25 juin 1950, Espoirs n° 5).




Bibliographie :

La démocratie dans l’entreprise : une utopie ?
Sous la direction de Patrick Guiol,
Yves Lambert et Olivier Sabouraud
Éditions Corlet,
ZI route de Vire, 14110 Condé-sur-Noireau