Traduction :
Didier SCHEIN
Juillet
2001



uand nous ne fûmes qu’à une distance d’une journée de route de chez le tsar slave, Malek el-Saklab, chez qui se rendait notre ambassade, vinrent à notre rencontre ses frères, ses enfants et quatre de ses vassaux, apportant du pain, de la viande et du millet. De là nous continuâmes avec eux; et quand il ne resta que deux farsang jusqu’à la résidence du tsar, le tsar lui-même vint à notre rencontre. Nous voyant, il descendit de cheval, louant et remerciant Allah. Ensuite il répandit devant nous des monnaies d’argent, qui se trouvaient dans ses manches et, pour notre logement, il ordonna de dresser les tentes dans lesquelles nous demeurâmes. C’était le Dimanche, 22ème, de la 310 annéee de Muharrem. De la ville kharezmienne de Djordjana jusque là il y avait eu 70 jours de route. Dans ces tentes nous restèrent jusqu’au Mercredi, attendant que se rassemblent les tsars et les grands seigneurs de sa terre qui devaient être présents lors de la lecture des chartes par nous apportées. Le Jeudi nous préparâmes deux housses tissées d’or, qui étaient avec nous, parâmes les chevaux de riches selles, habillâmes le tsar d’une robe noire et entourâmes sa tête d’un turban; j’apportai la charte du calife, et il l’a lue debout. Ensuite il lut aussi celle du grand vizir Hamid ibn-el-Abbasi, toujours debout malgré sa forte corpulence. Ses vassaux nous couvrirent de monnaies d’argent. Nous apportâmes les cadeaux du calife et les présentâmes au tsar; ensuite nous habillâmes d’un manteau de fourrure son épouse, qui selon l’habitude de cette terre s’assoit en public à côté de son mari. Ensuite le tsar nous appella dans sa tente. Il s’assit lui-même sur le trône, couvert de brocarts grecs; sur sa droite se trouvaient les tsars vassaux, juste en face de lui étaient assis ses enfants, quant à nous, il nous fit asseoir sur sa gauche. Aussitôt, sur l’ordre du tsar on apporta une table, et sur la table de la viande rôtie. Prenant une patte, il coupa d’abord un morceau de viande et le mangea; ensuite de la même façon il en mangea un deuxième et un troisième; ensuite il coupa encore un morceau et le donna à notre ambassadeur Sousen, devant lequel, aussitôt après cela, on dressa une petite table. L’usage est celui-ci là-bas que personne ne peut se mettre à manger, avant que le tsar ne lui donne un morceau; et alors seulement, à celui qui en a reçu est apportée une table. Après Sousen le tsar donna un morceau de viande à un de ses tsars vassaux, assis à sa droite, et devant lui aussi apparut une petite table; ensuite à un autre, à un troisième et ainsi de suite à tous les présents. De cette façon chacun reçut une petite table personnelle et mangea à celle-ci, seul, sans se mêler aux autres. A la fin du repas nous prîmes chez nous ce qu’il restait sur nos petites tables; mais avant de partir, le tsar ordonna de donner du vin de miel, qu’on appelle dans leur langue sidjou, il but lui-même et nous bûmes.

Avant notre présence à la hutba , le tsar s’exprimait de cette façon: “Seigneur, donne ta bénédiction au tsar et au possesseur, au tsar de Bulgar !” Je lui fis remarquer que seul Dieu est tsar et qu’il n’est donné à personne de s’élever si haut devant Dieu, surtout en public. Même ton haut dirigeant le calife, le maître des croyants, lui ai-je dit, a ordonné que dans toutes les sociétés de l’Orient et de l’Occident on ne s’exprima pas autrement que de la sorte: “Seigneur, donne ta bénédiction à ton esclave et ton gouverneur Djafar, le Puissant par Dieu , le maître des croyants.” Le tsar demanda: “Comment faut-il donc demander ?” Je répondis: “Il faut te nommer par ton nom et ton patronyme.” Mais alors il répliqua: “Mon père était incroyant et moi aussi; je ne veux pas qu’on me nomme par mon nom, quand celui qui ma l’a donné était incroyant. Comment s’appelle mon haut dirigeant, le maître des croyants ?” “Djafar”, répondis-je. “Et puis-je m’appeller par son nom ?” demanda à nouveau le tsar. “C’est possible.” “Alors je reçois pour moi-même le nom de Djafar, prononça le tsar, et mon père s’appellera à son tour Abdallah ”. Et il annonça cela au hatyb . A partir de ce moment, on se mit à le mentionner de cette façon: “Seigneur, donne ta bénédiction à ton esclave Djafar, fils d’Abdallah, émir de Bulgar et client du maître des croyants.” Dans la capitale de ce tsar je vis une telle quantité de choses inouïes qu’il est impossible de les relater.

La première nuit que nous passèrent dans cette ville, je remarquais peu avant le coucher du soleil que l’horizon était terriblement rouge, et j’entendis haut dans l’air de forts échos et un bruit sourd. Je levais la tête et que vis-je ? au-dessus de moi flottait un nuage rouge comme le feu et ce bruit et ces échos sortaient de là ! Dans le nuage étaient visibles comme des gens et des chevaux et dans les mains de ces spectres des arcs, des lances et des épées. C’est ce que je vis, ou du moins, me sembla-t-il voir. Ensuite apparut un autre nuage; le même que le premier et dedans aussi j’aperçus des gens, des armes et des chevaux. Ce nuage se jeta sur le premier comme deux détachements de cavaliers tombent l’un sur l’autre et nous en prîmes tellement peur que d’un suprême serrement de coeur nous nous mîmes à prier Dieu; les indigènes en face de nous se commencèrent à se moquer de nous, et s’étonnèrent beaucoup de notre affliction. Nous vîmes comment un nuage se dirigea sur l’autre: quelques temps ils furent mêlés l’un à l’autre, ensuite à nouveau ils se séparèrent, et ses mouvements continuèrent jusqu’à la nuit-même, tant que les nuages ne disparurent pas. Quand nous demandâmes ensuite au tsar, ce que signifiait ce mouvement, il répondit: “mes aïeux disaient que ce sont les esprits croyants et incroyants qui s’affrontent chaque soir, et qu’ils font cela depuis qu’ils existent.” (...)

Dans les aboiements des chiens, les Bulgares voient de bons présages, et d’un aboiement ils concluent si l’année sera fertile, heureuse et paisible. J’ai vu une quantité de serpents; de telle sorte que souvent sur un arbre, près d’une branche, s’en enroulent une dizaine ou plus. On ne les tue pas, et eux-mêmes ne font de mal à personne. Il y a chez eux une sorte de pommes, vertes et terriblement amères, que ne mangent que les jeunes filles, ce dont elles grossissent. Mais je n’ai rien vu tant en Bulgarie que des noyers; j’en ai vus par forêts entières, sur une distance d’une quarantaine de farsang. J’ai aussi vu là-bas un arbre, que je ne sais pas comment nommer : il est d’une taille inouïe, il possède un tronc sans feuillage, une cime comme celle des palmiers, et des feuilles petites mais épaisses. On chauffe le tronc de cet arbre à un endroit su et on récolte de l’orifice un liquide plus agréable que le miel. Cette boisson soûle tout comme le vin, si on l’utilise en grande quantité. (...)

On entend très souvent des orages, et si la foudre frappe une maison, tout le monde s’en éloigne et s’entend pour détruire le bâtiment et ne pas le rebâtir jusqu’à la fin des temps, disant que sur ce lieu se trouve la colère de Dieu. S’ils rencontrent un homme avec une intelligence inouïe et une profonde connaissance des choses, ils disent: “il est de taille à servir Dieu”; ensuite ils l’enlèvent, lui mettent une corde à la gorge, le pendent à un arbre et le laissent dans cet état jusqu’à ce que son corps tombe morceau par morceau. Si en route quelqu’un se met à prier, sans ôter ses armes, ils lui enlèvent ses armes et tout ce qui se trouve sur elles. Celui qui par hasard ôte ses armes et les laisse sur le côté, celui-ci ils ne le touchent pas. Tels sont chez eux les usages. Les hommes et les femmes vont se baigner dans la rivière et se lavent ensemble, nus, ne se couvrant par rien du regard de l’autre; mais ils n’ont aucune communication interdite entre eux. Si quelqu’un s’en rend coupable, n’importe qui soit-il, on lui attache les bras et les jambes à quatre poteaux enfoncés dans le sol, et on lui coupe le corps à la hache, du cou jusqu’aux hanches. On agit de cette façon également avec les femmes. Ensuite on pend chaque moitié du corps à un arbre. Je me suis donné beaucoup de mal pour convaincre les femmes de se couvrir des hommes au bain, mais je n’en ai pas eu le temps. On punit les voleurs de la même façon, ainsi que les coupables d’adultère.

On aurait pu en dire beaucoup sur ce peuple, mais nous nous limiterons à ce qui a été dit.

Traduit du russe par Didier SCHEIN

Au fil de la Volga (1) :
• Le peuple Mari el
• Que Perké soit avec nous
• Les Bulgares de la Volga